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vendredi 8 juin 2018

Fatal

L'engrenage. Inévitable, naturel. Tu arrives, tout disparaît, tu disparais, plus rien n'arrive. Tu es là, détaché, étourdissant, si près, si loin, confus parfois, superbe tout le temps. Tu es l'évidence, le retour à la source, tu as le charme de la folie, ce qu'il faut de folie pour me plaire, juste assez, un peu trop, juste assez, ou pas.

Tu es les points de suspension, les pointillés, les lignes discontinues, les virages, tu es le départ, la ligne d'arrivée, tu es la route entre les deux, tu es l'itinéraire, ou pas.

La vie c'est souvent aller de toi à toi, te fuir d'abord, il le faut, tu es trop, se mettre en quête de toi ensuite, il le faut, tu manques, la vie c'est nos allers, nos retours, les boucles, les détours, nous deux, ou pas.

Tu es savoir, tu es ne pas pouvoir, tu es vouloir, tu es ne pas vouloir, tu es partout, tu es intouchable, tu n'es plus nulle part, tu es inatteignable, tu es l'origine, tu es la finalité, tu es un peu pour moi, tu es beaucoup pour moi, ou pas.

Tu es un tout, tu es le zeste, je suis fébrile, fragile, vulnérable, je le cache, tu le devines, je le montre, tu le rassures, je l'affiche, tu le contestes, je nous exhibe, tu me fuis, je t'ai voulu, je te veux, je te voudrai, tu te refuseras, ou pas.

L'inexplicable, l'irrationnel, les cerveaux qui s'embrasent, les mots qui se font l'amour, l'alchimie, les retrouvailles, s'est-on jamais quittés, s'est-on jamais perdus, l'étincelle, le combat, les pas en avant, là c'est toi, les pas en arrière, ne pars pas, vouloir te retenir, ne pas avoir les mots, mais parfois les trouver quand même, quand tu me laisses faire, quand tu me laisses approcher, qui de nous deux est la proie, ça peut être tellement fort... ou pas.

Il y a ce que les autres voient, qu'on aime à cacher, qu'on tente de protéger, qu'on joue à démentir, il y a ce qu'on ressent, c'est peut-être pas grand chose, c'est même certainement rien... ou pas ?

Et la lutte encore, et la peur de mal faire, et cette peau qu'on sait endurcie, et l'envie de se l'approprier, de la pénétrer encore, c'est se ressembler trop, au point de se faire mal, c'est se ressembler tant, au point de se chercher, c'est rentrer au port, c'est traverser les tempêtes, c'est se protéger de l'autre, c'est protéger l'autre du reste du monde, et de soi, c'est se vouloir,... ou pas.

C'est avoir essayé chacune des alternatives, avoir inventé mille autres façons de faire, c'est peu à peu comprendre qu'il y a bien plus que ça.

Ou pas.

© Isa - juin 2018

mercredi 23 mai 2018

Attendre

Le train,
une augmentation,
une bonne nouvelle,
un remboursement,
le nouvel album de ce groupe de rock,
un enfant,
une opportunité,
une livraison,
le dernier épisode de la saison,
des résultats,
une réponse,
cette occasion,
le soleil,
un cadeau,
en vain,
le bonjour de la caissière,
un appel,
le bonhomme vert,
la fin d'un décompte,
les vacances,
la fin,
la mort,
des remerciements,
l'heure,
des retrouvailles,
la bonne idée,
le coup de sifflet final,
un colis,
l'inspiration,
le serveur,
Noël,
des félicitations,
le début du spectacle,
une réaction,
la paye,
une confidence,
la sonnerie du micro-ondes,
le coup d'envoi,
que l'eau bout,
des encouragements,
la chute de cette blague,
la gloire,
l'été,
cette date-là,
une carte postale,
Toi.

© Isa - mai 2018

lundi 21 mai 2018

Y croire, encore...

Faudra-t-il tomber plus bas encore pour enfin comprendre qu'il nous faut désormais remonter à la surface, a-t-on déjà touché le fond, et si oui comment le sait-on, il semble qu'on puisse encore faire pire, on a toujours fait pire, on a toujours pu creuser davantage, est-ce que cela s'arrêtera un jour, est-ce à nous de le décider ?

Entendre des autres des inquiétudes murmurées, presque inaudibles, se demander si on les imagine ou si elles existent vraiment, espérer très fort qu'elles ne soient que rêvées, pour ne pas avoir à admettre, puis espérer très fort que ces autres les formulent réellement, pour ne plus se penser seul, ne plus savoir si on veut lutter ou si on abandonne, ne plus savoir si on a besoin d'être entouré ou si on veut se replier, avoir mal de ces hésitations, douter d'un rien, douter de tout, ne plus se savoir.

Ne plus se reconnaître, voir un autre, le miroir ment, ce n'est pas moi, je n'ai pas pu devenir ça, je n'ai pas pu me laisser aller à ne devenir que ça, que l'ombre d'une jeunesse ternie, que le fantôme d'un enthousiasme freiné, que les contours flous de ce qui était autrefois fier et fort, courageux et solide, affirmé et stable, au moins de temps en temps, au moins tout au fond.

Partout chercher en soi le courage d'autre chose, du changement, de la décision, du déclic, du renouveau, de la renaissance, partout chercher en soi l'envie de s'aimer mieux, de se chérir, de se protéger, de s'encourager, partout chercher en soi la force de se pardonner, d'arrêter de s'en vouloir, d'arrêter de se faire du mal constamment, profondément, injustement peut-être, parce que certes on s'est trompé, certes on a heurté, certes on a fauté, mais devra-t-on continuer à éternellement se punir ou est-il enfin temps d'accepter de n'avoir été que ce qu'on pouvait être, de n'avoir fait que ce qu'on pouvait faire, avec les moyens du bord, avec les cartes qui nous ont été distribuées, avec le fardeau qu'on avait à porter...

Savoir que la vie mérite d'être vécue, dévorée, parcourue, savoir qu'on peut encore tirer du beau de toute cette grisaille apparente, il y a le soleil derrière, il faut juste vouloir le voir, il faut juste savoir l'attendre, il faudra juste pouvoir l'accueillir quand il voudra se montrer, il faudra juste tenir jusque là, tenir encore un peu, s'accrocher, persévérer, lutter, ne jamais abandonner, continuer, tenir encore, ça va aller.

© Isa - mai 2018

dimanche 17 décembre 2017

Bafouille

Toujours cette même angoisse, à la reprise de la plume, fût-ce-t-elle un clavier, cette peur de ne pas trouver les mots, qu'ils s'échappent, m'échappent, qu'ils fuient sans possibilité que je ne les rattrape, qu'ils ne veuillent pas se laisser aller à m'appartenir quelques minutes.

Et pourtant la nécessité de le faire, d'y revenir parfois, pour se prouver que cela existe encore, l'envie, la capacité, la maîtrise, douter en s'y plongeant mais y plonger quand même, le besoin est impérieux, la nécessité tangible, l'urgence presque vitale.

Ne pas savoir par où commencer, quel sujet aborder, de quoi, de qui, y a-t-il en ce moment quelque chose qui mérite d'être mentionné, la moindre chose, la moindre personne, le moindre événement, et d'ailleurs ne serait-il pas plus simple de se taire, se taire c'est souffrir en silence, en solitaire, en ermite, en soi, à l'intérieur, se taire c'est ne pas imposer ses douleurs, c'est cacher au monde le tumulte du dedans, après tout lorsque ce n'est pas joli, ça ne mérite pas d'être montré.

Et pourtant parler quand même, il n'y a pas que du laid, il n'y a pas que du difficile, il y a aussi les pépites, les étincelles, les instants, les sourires, il y a aussi les idées, les rêves, les envies, les choix, il y a aussi la démarche, le mouvement, la progression, l'inertie, il y a aussi ce qu'il faut dire, écrire, hurler, expier.

Voir de ces contradictions naître quelque chose qui ressemble à quelque chose, à presque rien, mais c'est quand même là, ça a le mérite d'exister, d'avoir été créé, de nous ressembler encore, se reconnaître dans chaque mot, dans le rythme, dans la virgule dans les paragraphes dans les tournures de phrase dans les respirations dans les apnées dans la ponctuation dans son inexistence dans chaque alinéa, dans les doigts qui s'arrêtent puis recommencent à courir, dans les yeux aveuglés par la lumière blanche de la page blanche de l'écran blanc au milieu de la nuit, si noire, de la vie, si colorée quand on a encore envie de la regarder vraiment, et elle est là cette envie, presque impossible à deviner, un peu terne et vacillante mais elle est ici, il me faut la faire pousser, il me faut la faire grandir, il me faut cesser de la nier, et la vivre, la célébrer, la chérir, la nourrir, l'envie c'est quand même encore ce qui nous tient debout, et on est quand même sacrément mieux, quand on arrive encore à se tenir debout.

© Isa – décembre 2017

samedi 24 juin 2017

Renaître

Pour renaître, il faut d'abord mourir, il faut d'abord tout quitter, il faut d'abord vider, vidanger, expier, purger, il faut effacer toutes les ardoises, raser toutes les tables, il faut le néant, il faut le fond du trou, il faut le dos au mur, il faut tout abandonner, et peut-être pleurer pendant que cela arrive, peut-être souffrir, peut-être saigner, peut-être hurler, peut-être ne plus respirer, suffoquer, gémir, trembler, peut-être ne plus savoir pourquoi, peut-être douter, peut-être presque renoncer, peut-être arracher des éclats de verre d'une peau meurtrie par le passé, peut-être que pendant que cela arrive tout nous demandera d'arrêter avant qu'il ne soit trop tard, tout, le monde, la douleur dans laquelle tout cela se produit, les doutes qui assaillent, tous aussi, ceux qui ne comprennent pas, ceux qui savent, ceux qui cherchent à savoir, ceux qui jugent, ceux qui acceptent, tout et tous essaieront de faire ralentir, de retenir, de prévenir, par mépris ou par amour qu'importe, peut-être que pendant que cela arrive il faut résister à ces freins, lutter contre eux, s'affirmer, s'imposer, se faire violence, et continuer.

Pour renaître, faut-il se réinventer ou se redécouvrir ? Partir de rien et tout écrire, partir d'un souvenir de soi et tout reprendre de là ? Faut-il gommer et façonner, faut-il construire sur des bases inconnues ? Jusqu'où remonter, comment savoir où tout a commencé ? Où le mal a infusé, où on s'est perdu, où on s'est trahi, quand on a changé, pas juste évolué mais foncièrement changé, quand on a laissé tomber brutalement l'enfant qu'on était, quand on a cessé d'exister pour soi, quand on a décidé — l'a-t-on seulement décidé ? — qu'il fallait se conformer, se travestir, se mentir, mentir, faire semblant tant et si bien que l'avatar est alors devenu la seule réalité possible ? Pour renaître il a d'abord fallu faire le constat qu'on se devait d'en finir, et c'était long et agonisant, lourd et dérangeant, il a ensuite fallu décidé de tout brûler, et c'était long et agonisant, lourd et dérangeant, il faudra désormais remonter à la source du mal, au début des vicissitudes, à l'exact moment où tout a basculé, et la quête sera longue et agonisante, lourde et dérangeante, et les premières étapes ont déjà pompé tellement d'énergie, y en a-t-il encore un peu, suffisamment, peut-on encore consacrer du temps et du courage, y en a-t-il encore un peu, suffisamment, doit-on jeter toutes ses dernières forces dans la bataille, mais y en a-t-il encore un peu, suffisamment ?

Pour renaître, il faut de nouvelles bases, un sol solide et fertile et accueillant et stable, il faut de l'acceptation, savoir qu'on ne sait rien de soi, qu'on ne sait rien du monde, qu'on ne sait rien des autres, savoir qu'on est seul en soi, qu'on est seul au monde, qu'on est seul parmi les autres, il faut de la patience, prendre le temps d'éviter les écueils, les pièges, les obstacles, prendre le temps de choisir de qui s'entourer, de quoi se construire, de quel matière première se nourrir et se forger, il faut de la lucidité, savoir faire le tri, savoir à quoi renoncer, à qui renoncer, voir en face les réalités avec lesquelles il faudra toujours composer, ne pas être dans le déni, ne pas être dans la peur de la vérité, il faut de l'action, regarder, voir, affronter, braver, avancer, marcher, courir, trancher dans le vif, s'arracher, se faire mal, tomber, se relever, vaciller, résister, avancer encore, tracer des chemins, les suivre, rester concentré, avancer, courir, y aller, occuper l'espace, le remplir sans y stagner, parce que le mouvement, parce que l'inertie, parce que la nécessité de s'éloigner du point A pour rejoindre enfin le point B, parce que le point B sera le nouveau point A et qu'il faudra partir en quête du nouveau point B et avancer comme ça, toujours, sans arrêt, sans pause, sans respiration, sans retenue, y aller, avancer, au bout il y a soi, putain au bout il y a peut-être moi.

© Isa — juin 2017

mercredi 3 mai 2017

Sous la pluie

Je ne sais pas d'où venaient ces larmes.

Étaient-elles teintées de peine, de joie ? Empreintes de solitude, d'appréhension, de fierté ? Avaient-elles quelque chose à voir avec moi, avec cet autre, avec ces autres, avaient-elles quelque chose à voir avec ce qu'il se passe autour, l'angoisse de l'attente, l'incertitude de demain, le pays sur la brèche, la bascule inévitable, avaient-elles quelque chose d'intime, avaient-elles quelque chose de plus grand ?

Je n'ai pas reconnu leur goût, était-ce la peur, était-ce le doute, était-ce le manque ? Était-ce la conviction, venue d'un ailleurs inconnu, que malgré tout, tout irait bien ? Était-ce la crainte que plus rien ne serait jamais pareil, que je ne pouvais plus prédire l'année prochaine, le mois prochain, la semaine prochaine, demain ?

Je n'ai pas réussi à estimer leur impact sur ma peau, étaient-elles lourdes de chagrin, de désespoir, de mélancolie, charriaient-elles le poids d'un malheur si imprévisible il y a quelques semaines, alors qu'après tout hier encore, j'avais 20 ans ? Étaient-elles légères, infimes, transportant uniquement la sérénité, le bien-être, la douceur de la nostalgie ?

Je ne sais pas d'où venaient ces larmes, ce qu'elles voulaient me dire, ce qu'elles voulaient dire de moi, mais là, ce matin, mêlées de pluie et d'un flot continu de mille et uns sentiments tous aussi forts les uns que les autres, elles étaient la seule chose qui avait à exister, quand enfin elles sont arrivées.

© Isa – 3 mai 2017

mardi 20 décembre 2016

Récurrence

Tu t'étonnes si souvent que je te revienne toujours. Comme si tu ne comprenais pas la récurrence implacable, comme s'il était possible qu'il en soit autrement, comme si un jour ce ne serait plus le cas.

Est-il encore imaginable, à tes yeux, dans ton esprit, que je t'échappe tout à fait, définitivement, que je disparaisse pour de bon, lasse de nous, de ce que nous étions il y a 15 ans déjà, de ce que nous avons appris à devenir aujourd'hui, de ce que les gens diront encore de nous à la toute fin et après encore ?
Est-il encore imaginable, à tes yeux, dans ta tête, que je fasse une croix sur l'amour, le tout premier amour, que je m'extirpe de notre histoire, que je la range au loin comme un souvenir gênant, que je renie celui que tu as été, es et seras, que je t'abandonne au creux d'un lointain passé sans impact sur aujourd'hui, que je te jette aux oubliettes, que tu disparaisses dans les limbes du temps qui passe ?
Est-il encore imaginable, à tes yeux, dans ton cœur, qu'on se dise un jour 'adieu', un adieu dénué de regrets et de peine et de nostalgie et d'ivresse, un adieu sincère, comme un livre qu'on referme, comme une porte qu'on referme, comme un pays qu'on ne visitera plus jamais ?
Est-il encore seulement imaginable, à tes yeux, dans ce que tu ressens pour moi, dans ce que je ressens pour toi, qu'on se lasse, qu'on se perde, qu'on s'éteigne, nous la lumière, nous le souvenir, nous la nostalgie, nous la définition de ce que l'amour fait de plus vil et de plus pur et de plus grand, nous les interdits, nous les émois qu'on n'attendait plus, ou pas encore, nous ceux que la Terre a toujours enviés ?
Est-il encore imaginable, à tes yeux, dans ton corps, que plus jamais l'on ne se voie, que plus jamais l'on ne se touche, que plus jamais l'on ne s'apprenne, nous et notre soif de l'autre, indicible, intangible, irrésistible, incompréhensible, nous et notre faim de mains et de langues et de bouches, nous et nos peaux qui s'attirent, nous et ce qui nous rapproche malgré le temps et la distance qui s'acharnent tous deux à nous éloigner l'un de l'autre, est-il encore imaginable, à tes yeux, que tout cela disparaisse ?

A mes yeux, dans mon esprit, dans ma tête, dans mon cœur, dans mon corps, rien d'autre n'est imaginable que de te revenir encore, et encore... et encore.

© Isa – 20 décembre 2016