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vendredi 11 octobre 2013

...pas tout à fait Parisienne...

Tu la connais bien la Parisienne. On en parle partout. Dans les magazines de mode et de lifestyle, dans les campagnes françaises, à New-York et à Milan.

Elle est à la pointe de la mode, chic et glamour. Elle est la féminité incarnée. Elle ne sort jamais de chez elle sans être parfaitement habillée/ coiffée/ maquillée/ accessoirisée et est déjà prête, au saut du lit, à dérouler sa journée avec l'élégance qui la caractérise. Elle aura pris soin avant de se coucher de poser sur son visage de poupée sa crème de nuit maxi-régénérante et hyper-hydratante et super-rajeunissante. De choisir sa tenue du lendemain avec bon goût. De vérifier sa manucure. De faire la guerre aux quelques sourcils rebelles qui débordent de la courbe parfaite dessinée quelques jours plus tôt par son esthéticienne. De démêler ses longs cheveux dorés. 

Du coup, le matin, il ne faut que quelques minutes à la Parisienne pour être tout à fait présentable. Sans avoir besoin de réfléchir, puisque tout aura déjà été calibré, elle va du lit à la salle de bains, de la salle de bains au dressing, du dressing au shoesing en flottant de pièce en pièce pour ne pas déranger ses voisins. Parce que la Parisienne est très attachée à son image, pas seulement à ce que son physique dégage, mais aussi à ce que son comportement inspire. Elle ne prendra jamais le risque qu'on dise d'elle, à l'assemblée des copropriétaires, qu'elle est bruyante ou irrespectueuse de son entourage immédiat.

Elle flotte donc. De toute façon, comment pourrait-il en être autrement ? Hier, après avoir copieusement déjeuné d'une salade César, elle a pris soin de rééquilibrer son apport calorique de la journée en limitant son repas du soir à une assiette de crudités, un bol de soupe et un Sveltesse à 1.3% de matières grasses. Elle a bu son litre et demi de Contrex tout au long de la journée et a choisi de descendre du métro une station plus tôt pour finir son trajet en marchant. Elle a boudé l'ascenseur à qui elle a préféré les 215 marches de l'escalier. Sans jamais transpirer. Dimanche prochain, comme toutes les semaines, elle ira courir 10 kilomètres autour de l'étang en compagnie de Kurt Cobain qui hurlera "hellooooo, hellooooo" dans les écouteurs de son iPod Shuffle rose. Sans jamais transpirer. Ce jour-là, elle boira 3 litres de Contrex, parce que "l'hydratation, c'est la base quoi". Le corps parfaitement sculpté, entretenu au millimètre carré près, elle est légère. Donc elle flotte.

Elle flotte même quand, perchée sur des talons de 12, elle se dépêche d'aller en réunion/ à la gare pour choper son TGV/ rejoindre ses copines à la terrasse d'un café. Non pas qu'elle soit en retard hein, la Parisienne est trop bien organisée pour cela, mais elle doit parfois faire face à des impondérables qui lui font être prise par le temps et devoir courir un peu pour respecter le timing imposé par les notifications envoyées par le calendrier de son iPhone. Alors elle flotte de lieu en lieu, offrant à ceux qui la croisent la vision d'une ombre fugace laissant dans son sillage les notes sucrées du dernier parfum à la mode. On la sent arriver à cette effluve discrète et raffinée subtilement vaporisée là où il faut, ni trop peu ni pas assez. La Parisienne a le sens de la mesure parfaite. On l'entend repartir à ce bruit si élégamment féminin qui mélange le toc...toc... de ses talons aiguilles sur le parquet au gling... gling... de ses bracelets qui s'entrechoquent. La Parisienne a le sens de la sortie théâtrale. Et pendant qu'elle est là, on admire qu'elle ait pris soin de ne pas combiner ses escarpins Gucci à son foulard Chanel, ô sacrilège* s'il en est. La Parisienne a le sens du détail.

Et moi pendant ce temps là, j'arrive à être en retard même quand je me réveille deux heures avant l'heure du départ. Parce que j'ai encore oublié de me laver les cheveux hier soir et que je vais devoir le faire ce matin. Parce que je me suis endormie sans me démaquiller et qu'il faut réparer les pots cassés et faire le ravalement de façade de mon visage de panda. Parce que je n'ai plus aucun pantalon qui accepte de recevoir mes cuisses et mon bidon gonflés par l'enchaînement McDo/ Raclette/ Pizza Hut des trois derniers dîners et que du coup le choix de ma tenue s'avère plutôt compliqué. Parce que je réalise avec horreur que mon rendez-vous ultra important c'est aujourd'hui et que j'ai oublié de le préparer. 
Et quand je décolle enfin, c'est essoufflée et dégoulinante que j'arrive dans le train que j'ai failli rater. Mes collègues me regardent d'un oeil compatissant et me saluent d'un "réveil difficile, hein ?" qui me fait me précipiter dans les toilettes du bureau pour constater avec effroi que j'ai oublié de me coiffer et que j'ai du dentifrice au coin de la bouche. La journée passera très vite mais moi, à l'intérieur, j'avancerai au ralenti, alourdie par le poids de la fatigue et de la malbouffe. Puis il sera l'heure de rentrer chez moi et, trop flemmarde pour monter la côte qui me sépare de la gare, je prendrai un itinéraire bis bien moins fatigant qui rallongera mon temps de trajet d'une demie-heure. Enfin chez moi, je m'affalerai sur le canapé avec un paquet de chips et le douzième café de la journée. Je tenterai de me persuader que ce soir, je vais tout préparer pour que demain la matinée soit moins rude. Mais tout en faisant mentalement la liste de tout ce qu'il me faut faire pour cela, mes yeux se fermeront tout seuls pour ne s'ouvrir que deux heures plus tard, heure à laquelle il sera temps de traîner ma carcasse jusqu'au lit. Les yeux encore maquillés, et le pas lourd. 

Je ne sais pas flotter.
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* Merci aux puristes de la mode de ne pas m'attaquer en diffamation si cette allégation relève de l'hérésie, ce qui est tout à fait probable dans la mesure où mon niveau de culture "fashion" est à peu près aussi élevé que le niveau d'eau d'une pataugeoire. D'un pédiluve, même.
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© Isa - octobre 2013

4 commentaires:

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