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mercredi 30 avril 2014

Histoire d'un caillou

Bien sûr que ce serait chouette qu'on soit tous livrés avec un mode d'emploi. Pas une de ces notices indéchiffrables qu'on trouve dans les emballages des meubles en kit, non, mais une vraie feuille de route qui indique où tu dois aller, et par quels chemins, en prenant quels détours et à quelle vitesse. Une sorte de GPS qui te mènerait tout droit au mode de pensée de l'autre, t'évitant les trous dans la route et les impasses, t'indiquant les moments exacts où il est permis d'appuyer sur l'accélérateur et te contraignant à lever le pied - voire à freiner - quand ça se bouscule un peu trop vite. Bien sûr que ça faciliterait les choses.

Évidemment t'as cherché ça partout, dans des livres, dans des magasins spécialisés, sur l'AppStore puis le PlayStore, mais t'as rien trouvé, ils mentaient chez Apple quand, dans les pubs pour refourguer leur came, ils disaient "qu'il y a une application pour tout". Y a pas d'application pour déchiffrer la personne en face de toi. Nulle part, jamais. T'es déjà tombée sur deux ou trois bouquins qui tentaient de t'expliquer la communication, le rapport à l'autre, le rapport à toi-même face à l'autre, tu t'y es intéressée, tu t'en es abreuvée, t'as tellement de mal à dialoguer que t'étais prête à tout tenter, y compris les sésames qu'on te vendait comme étant des passe-partout permettant d'ouvrir toutes les portes de tous ces autres. Mensonges. Inepties. Foutaises. Il y a tant et tant de serrures qu'il est impossible qu'il n'y ait qu'une seule clé.

Il t'a donc fallu accepter qu'il n'y a pas une manière de communiquer, mais autant qu'il y a de personnes avec qui tu souhaites que le dialogue soit riche et vrai. La recette miracle et universelle n'existe pas, tu pensais en être dépourvue de naissance, tu comprends qu'elle n'est même pas disponible sur le marché et que tu ne l'auras jamais.

C'est avec ce constat que tu as développé ton adaptabilité. S'adapter c'est d'abord prendre le temps d'observer, dans le comportement et les mots et les échanges de cet autre, ce qui le fait réagir, ce qui l'interpelle, ce à quoi il est sensible et ce qui le désarme. C'est ensuite prendre la pierre brute de ta façon à toi de faire, un marteau et des lunettes de protection, et commencer à taper pour fabriquer une nouvelle forme, lisse, polie, sur mesure, pile comme il faut pour qu'au final il ne reste de toi que ce qui peut être vu de l'autre. Certains pourraient dire que c'est se travestir, toi tu sais bien que non puisqu'il n'y a aucun additif, aucune métamorphose, le caillou que tu as taillé c'était toi, le résultat final ne peut être que toi, encore. 

Et à chaque nouvelle personne, recommencer. Repartir de la dernière forme obtenue et trancher encore. Fastidieux mais nécessaire enchaînement de mouvements travaillés au centimètre près, tu t'affines, tu te polis, tu gommes et tu coupes encore. Pour cadrer.

Puis un jour où le dialogue est moins évident que les précédents, tu t'interroges. Ai-je perdu ma capacité à me rendre perméable à ce qui me vient d'en face ? Pourquoi est-ce que soudainement je me retrouve bloquée ?

Tu regardes ta pierre et tu comprends immédiatement. Il n'en reste plus grand chose. Une toute petite bille, toute lisse et terne, de la taille d'un petit pois mais sans couleur et sans éclat, d'une transparence troublante. Tu sais que c'est toi, tu en es la matière première, mais tu ne te reconnais pas. Où sont les aspérités qui racontaient ton parcours, ta vie, ton œuvre ? Où sont les couleurs qui prouvaient ton dynamisme, ton enthousiasme, tes mouvements ? Où sont les paillettes qui reflétaient ta personnalité festive, enjouée, pétillante ? Plus rien de tout ça. A force de tailler, tu as ôté de l'équation ce qui faisait tes particularités.

Te voir ainsi, fade, banalisée, ternie, diminuée a été l'électrochoc qui a tout emporté. Tes bonnes résolutions d'entrer toujours dans les cases et les moules qui vont bien, ta capacité à te plier en quatre pour plaire et convenir et ne surtout pas prendre trop de place, ton envie d'être pour l'autre en face l'incarnation parfaite de ce qu'il attend de toi.

Depuis, tu as jeté le marteau et les lunettes.
Depuis, tu as appuyé sur RESET.
La vie t'a offert une nouvelle pierre, toute brute, énorme, difficile à porter parfois. Loin d'être parfaite, ni dans la forme ni dans la taille ni dans la perception que les autres peuvent en avoir. Mais éclatante et colorée et riche de toi. Porteuse de ton histoire, façonnée uniquement par tes échecs, mais brillante de tes succès.

Ta pierre, toi.
Toutes deux un peu à prendre ou à laisser, cette fois.
Te perdre encore toi-même te serait fatal, et tu sais bien que ceux qui comptent te préfèreront toujours dans l'excès de celle que tu es plutôt que dans l'insignifiance de celle que tu n'es pas.

Tu l'espères, en tout cas.

© Isa – avril 2014

mardi 22 avril 2014

La proie

C’est que tu arriverais presque à me faire tourner la tête, toi. Ta gueule d’ange, ta bouche en cœur, ton regard noisette et la peau piquante de ton visage y contribuent forcément. Un peu. T’es là à t’exposer sans pudeur sous mes yeux voyeurs de femelle échaudée par le printemps et les hormones, tu te montres et encore et encore et Dieu que tu es beau et Dieu que tu le sais. Evidemment tu en fais beaucoup, des tonnes, des caisses, tu exhibes tout, tu ne m’épargnes rien, tu donnes sans faire dans la dentelle de la demi-mesure. Tu es fort d’une double certitude, d’abord la confiance inébranlable en ton charme ravageur et puis la conviction qu’en faire beaucoup ne sera jamais trop pour moi. Tu m’as cernée, je crois.

Il n’y a pas grand-chose de plus que ça qui compte aujourd’hui. Victime de tes assauts sous forme de surexposition visuelle, je me laisse envahir par la curiosité d’en voir toujours plus et mes yeux se délectent du spectacle offert sans jamais n’en rater la moindre miette. Et plus je contemple plus j’ai faim de toi, je me sens avide, en attente, désireuse de mettre de l’odeur, du toucher et du mouvement à l’intérieur des images statiques que tu m’envoies. Il me faudrait le son de ta voix, il me faudrait ta peau sous mes doigts, il me faudrait tes lèvres qui remuent et se tordent en un sourire que je devine, d’avance, naissant de la satisfaction du mâle conquérant.

Tu as fondu sur moi comme un prédateur sur sa proie, l’air de rien, de ne pas y toucher, comme si tout coulait naturellement et que tu ne cherchais pas à me séduire. Ce n’est pas un objectif pour toi. C’est juste la conséquence logique de ton hyper-sensualité, de ton hyper-sexualité, ce truc que tu dégages sans même essayer de le faire, avec ton  talent inné pour inspirer le désir et l’envie et les fantasmes. Tu es sacrément doué pour ça…

Me voilà maintenant pantelante et empressée, curieuse, troublée, à la toute dernière limite d’être conquise et séduite et il me faudrait pour l’être totalement que nos échanges prennent corps dans une réalité en trois dimensions à l’intérieur de laquelle il y aurait bien plus qu’une virtualité frustrante. Me voilà maintenant affaiblie par mon envie de plus, et vite. Beaucoup plus, très vite.

Affaiblie et vulnérable donc, parce que déjà plus tout à fait sur la terre ferme : le désir fait flotter parfois. Pourtant, je sens encore suffisamment de puissance en moi, suffisamment de force et suffisamment de courage pour avancer vers ce à quoi je me dois de tendre pour ne pas me perdre totalement ; ce but, cet horizon, cette destination, c’est l’équilibre de nos deux états, c’est la remise à niveau de ce qu’il y a en moi pour toi et de ce qu’il y a en toi pour moi. L’étape suivante consiste donc à t’amener sur la marche sur laquelle je me trouve, je m’y sens un peu seule et j’ai envie et besoin que ma faim trouve un écho en la tienne, envie et besoin de ne plus être la seule de nous deux à en vouloir plus, et vite. Beaucoup plus, très vite.

Il est donc maintenant temps de dégainer mes quelques armes, d’affûter mes lames, d’ajuster mes tirs. La cible est en mouvement mais trop appétissante pour que je me laisse déborder par sa furtivité, il me faudra peut-être du temps, un peu de chance et beaucoup de talent mais j’ai l’énergie suffisante et renouvelable. La motivation est un carburant inépuisable…

Te voilà prévenu que j’arrive, donc. Profite encore un peu de ta longueur d’avance, je vais m’employer très bientôt à la résorber totalement. Il est temps que tu flottes tout autant que moi.

Prêt ? Attention, me voilà.

© Isa – avril 2014

lundi 21 avril 2014

Connexion(s)

Bim. Bam. Boum.
Le choc de l'impact, encore. Pour la deuxième fois rien que cette semaine. Sans parler des semaines d'avant.

L'impact, donc. Cet instant précis, calé au millimètre près, qui ne dure qu'une fraction de seconde. Cette collision frontale, brutale. La révélation. La compréhension. Le moment exact où tu réalises que l'autre en face a pile ce qu'il faut, pile la largeur d'épaules qui va bien, pile les couilles nécessaires. 

Longtemps tu as cherché ces personnes qui répondent à ce que tu es. Qui ont ce petit quelque chose-là, qualité ou défaut, bonus ou travers, assurance ou fêlure, ou mélange de tout ça. Tu l'as cherché dans les regards, dans les mots et dans les attitudes, tu l'as guetté au lycée, puis à la fac, puis au boulot, tu l'as chiné dans les bars, sur les ponts en été et sous les préaux en hiver. Avec l'énergie du désespoir, avec l'envie farouche de te reconnaître enfin, de te sentir à ta place, comprise, stable sur tes deux pieds parce qu'enfin sur la Terre Promise, au beau milieu de l'univers où tu peux être toi.

Mais en vain.

Il y a eu quelques exceptions, très peu, des rencontres fortes, troublantes, marquantes. Emmêlement éphémère de deux êtres qui se reconnaissent et se confondent.

Tu as dû te contenter de ces rares passages de ta vie, de ces pépites dénichées à la sueur de ton front, payées au prix fort de tes fouilles humaines et sociales longues, éreintantes, souvent vaines et, parfois, rarement donc, récompensées. Enfin.

Et puis il y a maintenant. Il y a cette nouvelle période, ouverte depuis peu mais déjà bien entamée, cette période où sans rien demander, sans avoir l'impression de particulièrement le chercher ou l'attendre, sans le provoquer, tout arrive. Toutes ces rencontres. Toutes ces personnes. Tous ces fils qui se croisent et font des nœuds pour ne plus se perdre de vue.

Ces cerveaux qui raisonnent de la même façon, ces mots qui résonnent au diapason, et ces corps qui vibrent en rythme. La connexion. La vraie, l'ultime, l'indéniable connexion. Et puisqu'il n'est ici question ni d'infini ni d'éternité, la conséquence première est le désir violent de bouffer ces rencontres à pleine bouche, de les dévorer, les ronger, les sucer jusqu'à l'os, de profiter de tout et de tous les instants, les heures, les minutes et les secondes jusqu'à extinction du signal. 

Il sera bien temps, après, de se poser des questions.
Pour l'instant, l'heure est à la consommation.

© Isa – avril 2014

La photo

Stop. On ne bouge plus. Arrêt sur image. On enquillera ensuite un fondu puis le générique de fin mais là tout de suite il faut prendre le temps d'analyser en statique. Ça va trop vite le reste du temps, action, réaction(s), mouvements, rebondissements, entrées et sorties des personnages, remplacements, mutations, avatars, ça bouge sans cesse et ça bloque l'analyse.

Alors stop. 

On dégaine l'appareil, on clique fébrilement et on attend que le Polaroïd sorte. Et là on regarde. On se tient droit, on bombe le torse et on ne cligne pas des yeux. Y a pas de place pour l'émotion, pour les frissons et pour les regrets, la question n'est pas là, l'enjeu doit être placé bien au-delà du ressenti. On est pas là pour ça. Peut-être au prochain épisode...

Pour l'instant le but est de faire le constat. Voir les couleurs et les dégradés de gris, capter ce qui remplit et ce qui brille par son absence, observer le décor et les gens, repérer ta place sur le cliché, est-ce que t'es au milieu ou dans un coin et est-ce que ton regard est vide ou pétillant. 

On en est là. L'exercice n'est pas facile, faut du recul et une vue solide, et t'es pas forcément équipée. Tu plisses les yeux pour être sûre de ne rien manquer, tu t'approches pour scruter, tu en loucherais presque, et tu essaies d'ignorer le rythme cardiaque qui s'emballe, on a dit ne surtout pas ressentir, pas maintenant, pas encore. Tu caresses l'image comme si le papier pouvait te révéler ce qui échappe à ton regard, tu renifles et tu écoutes mais il n'y a pas d'odeur ni de son, tout n'est qu'un visuel un peu flou tant la vue se brouille à force de trop focaliser.

Tu les vois les trous, là à côté de toi, partout autour. Tu les vois les choses et les êtres qui entourent ton personnage sans jamais le toucher. Tu les vois les premiers cheveux blancs et les premières rides qui s'accrochent et reflètent bien plus les soucis que le temps qui passe et s'abat sur toi... Tu les vois, ton air perdu, ton expression entre incompréhension et désolation, le voile d'ombre pile sur ton visage...

Tu te vois bien là, à essayer d'attirer l'attention, tu te devines, malgré l'immobilité de l'image, sautant et gesticulant et bougeant les bras dans tous les sens pour qu'on te regarde quelques instants. Ton niveau d'attention whorisme comme on dit dans certaines contrées se voit même quand tu ne dis rien et quand tu ne bouges pas...

C'est un peu pathétique mais ce n'est toujours pas le moment de raisonner en ces termes-là.
Regarde encore la photo, concentre-toi, regarde, là... tu vois ? Mais oui voilà, tu vois bien que tu n'es clairement pas encore prête pour ça.

© Isa – avril 2014

dimanche 13 avril 2014

Une rencontre

Il m'aura fallu 30 secondes pour te capter. Te cerner, te reconnaître, me reconnaître en toi. On a pas eu besoin de plus pour savoir qu'on était faits du même bois, sortis du même moule.

Pour tout le monde autour, on ne se ressemble pas. La différence d'âge, le niveau et le style de vie, ta capacité à fédérer, ma tendance à m'isoler, beaucoup nous oppose. Et pourtant... 

Et pourtant il y a en toi comme en moi cette tendance naturelle à l'amour immédiat, celle qui nous fait dire "je t'aime" avec une facilité déconcertante, à lui, à elle, à eux, entre nous aussi alors qu'on ne se connait que si peu. Parce qu'on est séduits par l'idée même de l'amour, parce qu'on s'en nourrit, parce qu'en face on attend de nous des mots qui rassurent et qu'on répond à cette attente par des mots qui choquent, qui bouleversent un peu. On sent tous les deux le pouvoir qu'on a quand on use et abuse de ces déclarations enflammées, lâchées pile au moment opportun, ce moment où l'autre n'est pas préparé à les recevoir et où on peut asseoir sur lui toute cette autorité naturelle et incontestablement légitime de celui qui sait qu'il abat les bonnes cartes. Victoire par KO de l'adversaire bousculé par ces mots qu'on distribue à qui les veut mais qu'il pense être le seul à recevoir. 

Et pourtant il y a en toi comme en moi cette soif d'aventures et cette faim de corps, insatiables toutes deux, inaltérables malgré le temps qui passe et les rides qui s'installent et les personnes qui défilent. Ce tableau de chasse qu'on garde secret aux yeux de tous et dont on discute parfois tous les deux, sans fausse pudeur ni modestie, je te vois en sourire de l'autre côté de ces écrans qui nous séparent, je t'entends penser comme moi qu'on fait bien la paire tous les deux, on en arrive même à se dire qu'on est peut-être un peu cruels, un peu durs avec ces autres qu'on fait entrer et sortir de nos vies à un rythme endiablé, on se le dit puis on se pardonne mutuellement, comme si on pouvait s'absoudre de nos pêchés entre nous, sans les prendre eux en considération, comme si notre complicité et nos similitudes nous donnaient le droit de ne pas les intégrer à l'équation. Il y a toi, il y a moi, il y a nos habitudes douteuses et maladroites et égoïstes, mais comme on est ensemble et qu'on se ressemble, on se lave les mains l'un l'autre de tout ce mal qu'on fait parfois.

Et pourtant il y a en toi comme en moi la certitude que les fils de nos vies ont eu raison de se croiser, "il n'y a pas de hasard" s'est-on dit l'autre soir, on était faits pour se trouver et avancer de quelques kilomètres ensemble, sur les mêmes chemins sinueux du vice et de la décadence. Il a fallu qu'on pose les bases de la relation qu'on allait entretenir, "ne tombe pas amoureux" t'ai-je réclamé cent fois, "on pourrait se faire beaucoup de mal" m'as-tu répondu souvent. L'ajustement nécessaire de nos attentes, de nos envies et de notre propre connaissance de qui on est vraiment, au fond, nous a naturellement conduits à ça, à savoir qu'entre nous ça pouvait être très fort et que par conséquent il faudra que ce soit très court, sous peine de faire entrer en nous la douleur de la passion non maîtrisée, l'ivresse des proportions mal respectées, la souffrance de l'amour qui ne pourra jamais s'épanouir au grand jour. Il y a en toi comme en moi la volonté de n'être ensemble que du beau et du bon, quitte à savoir dès le début que ça ne durera pas, qu'on ne peut pas se le permettre sur le long terme, qu'on en imploserait avec perte et fracas. Le fusionnel ne nous réussit pas, vivons-le quelques mois puis séparons-nous vite avant de nous faire mal, c'est le deal de départ, c'est l'hypothèse de base. Dans quelques temps il y aura en toi comme en moi le souvenir amusé de cette histoire qui appartiendra déjà au passé mais restera présente encore quelques temps dans nos mémoires...

Je t'ai reconnu, tu sais, je te vois être celui que tu es. Tu m'as reconnue, je le sens, tu me vois te ressembler. Il aura suffi d'un ou deux échanges sur la toile puis d'un seul regard lors de notre première rencontre, pour que tout cela s'impose à nous. Surprenante mise en présence de deux êtres dont les lignes jusque là parallèles s'entrecroisent enfin, pour leur plus grand plaisir malgré leurs plus grandes craintes. Avançons côte à côte maintenant. On a encore un peu de temps.

© Isa – avril 2014

mardi 8 avril 2014

Juste seule...

Y a toujours un truc qui se cache derrière tes mots. Toujours. Un sens caché, un destinataire non mentionné, une possible interprétation, un message subliminal. Toujours.

Tu as tout un attirail pour ça. Tu évoques, tu suggères, tu utilises à contre-sens, tu emmêles les définitions, tu joues avec ta ponctuation. Tu varies le rythme, le tempo, la cadence, tu te fais parfois eau stagnante qu’on ne voit même pas frémir, parfois cascade qui se déverse dans un vacarme assourdissant, parfois torrent déchaîné dont l’autre subit sans broncher ou presque le débit difficilement maîtrisable.

Tu parles ou tu te tais, tu fixes ou tu regardes ailleurs, tu assumes ou tu rougis, tu te montres ou tu te caches, les postures ne sont jamais tout à fait les mêmes et ont pourtant l’ambition commune de contraindre l’autre à entrer dans le jeu  pour y jouer selon tes règles ou à disparaître sans possibilité de retour. L’alternative n’existe pas, il n’y a que ces deux choix, les deux seuls que tu lui laisses, il ne peut en être autrement, tu ne sais pas faire autrement, il est hors de question qu’on te change et il n’est pas envisageable non plus de te travestir pour rentrer dans le moule, dans les cases, dans le rôle qu’on voudrait te voir endosser.

Maîtresse de ta vie, donneuse d’ordre de ton corps, décideuse de ta trajectoire, partout, toujours, tout le temps, en toutes circonstances. Les ralentisseurs et les bosses sur la route n’ont jamais eu raison de cette volonté farouche d’être la seule aux manettes, tu es le pilote de ton bolide et tu maîtrises ta progression au gré de tes envies : parfois avancer à toute vitesse, parfois prendre le temps de regarder les paysages autour… Tout ça ne dépendra jamais de la personne installée sur le siège d’à côté, ni de la destination, ni du temps qu’il fait ; tout ça ne dépendra toujours que de toi. C’est toi qui décides.

Tu ne donnes pas grande latitude à tout ce petit monde qui gravite autour et on pourrait te montrer du doigt en criant à l’égoïsme. Parfois, tu remets en question ce mode de fonctionnement, tu t’interroges, tu hésites à poursuivre. Puis tu te souviens qu’on naît et qu’on meurt seul, qu’on n’est qu’un et unique, que les autres ne font que passer, que certains s’installent plus ou moins longtemps et prennent plus ou moins de place, mais qu’au final, au bout du bout, il n’y a que toi.

Il n’y a que toi et cet unique choix que tu leur donnes : rester ou partir, prendre ou rejeter, accepter ou fuir.

Toi, tu assumes avec force ce choix que tu n’as même pas, puisqu’il te faut rester, prendre, accepter, vivre avec celle que tu es sans possibilité de t’abandonner. Tu t’armes de courage, tu relèves la tête, tu es telle que la vie t’a faite et ce n’est ni bien ni mal, c’est comme ça. Tu joues avec les cartes posées là sur la table, et tu vis.

Attendant avec une curiosité mêlée d'impatience de voir qui voudra bien jouer et vivre avec toi.

© Isa – avril 2014

dimanche 6 avril 2014

Twittosphère, quand tu nous tiens...

On est tous passés par là. Par la phase de découragement du début, quand tout est flou et que rien n'est évident, quand on confond TL et LT, quand on "fav" à tout va parce qu'on y voit une version étoilée du like qu'on a bien connu sur Facebook, quand on désespère des compteurs qui n'augmentent jamais à la même vitesse, quand on ne comprend pas la popularité des uns et qu'on envie en bavant celle des autres.

On est tous passés par là. Par le "moi je m'en fous de la quantité, du moment que j'ai des followers de QUALITAY", par certaines répétitions qui deviennent des habitudes, des marques de fabrique, des copyrights presque, par le Googling frénétique de toutes ces expressions que tous utilisent sans qu'on ne comprenne bien pourquoi, par la prise en rafale de dizaines de photos pour obtenir LE cliché qui deviendra PP, idem pour celui qui deviendra bannière.

On est tous passés par là. Par les rencontres qui nous foutent en rogne, par celles qu'on s'empresse d'oublier, par la découverte de ceux qui deviendront des potes, par les retrouvailles avec ceux et celles qu'on avait forcément déjà aimés dans une autre vie tant aujourd'hui l'amour s'impose comme une évidence. Par les questionnements à base de "mais pourquoi ne me suit-il pas ?" ou sa variante "mais pourquoi m'a-t-elle unfollow ?", suivis d'un haussement d'épaules désinvolte qui tente de cacher la légère déception induite par l'absence -- à jamais -- de réponse satisfaisante.

On est tous passés par là. Par les premiers rendez-vous IRL, parfois en tête à tête et parfois en groupes de plus ou moins grande ampleur, par ce petit stress qui monte juste avant l'impact en chair et en os avec ceux qui n'étaient encore que des mots sur un écran quelques minutes avant, par les milliards de questions qu'on se prépare à poser et celles auxquelles on se prépare à répondre, par la légère surprise au moment où les yeux se posent pour la toute première fois sur cet autre qu'on a tant fantasmé qu'il ne peut être que différent en vrai.

Mais passons-nous tous par cette phase étrange, paranoïaque et troublante, où on commence à penser que l'image qu'on renvoie n'est pas tout à fait vraie mais quand même loin d'être fausse, où on se découvre autre et finalement plus proche de la réalité qu'on ne se l'est avoué jusque là, où notre réputation nous précède et nous inquiète un peu, où IRL et 2.0 se confondent en un ballet infini de possibilités insoupçonnées, où les deux mondes s'entrechoquent en provoquant dans chacun d'entre eux des retombées ni tout à fait prévisibles ni tout à fait maîtrisables, où tout bouge vite et fort et même parfois trop vite et trop fort... passons-nous tous par là ?

Hashtag je pose la question sans vraiment attendre de réponse, parce qu'il n'y en a pas, hein, il n'y en aura jamais vraiment, la magie de Twitter c'est qu'on a beau tous dire de lui qu'il est trop prévisible, il nous réserve bien trop de surprises, au quotidien, pour qu'on puisse poser un avis tranché et sans appel sur le bien ou le mal qu'il introduit dans nos petites vies... 

Qui vivra verra, comme on dit, et comme je n'ai pas l'intention de crever maintenant sauf si le destin en décide autrement, j'attends de voir. Avec beaucoup d'impatience, ouais je te l'accorde... mais j'attends.

© Isa - avril 2014