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lundi 26 mai 2014

Je suis une femme

Je suis une femme.
Je suis une adulte et je travaille pour gagner ma vie. Même pour ma mère, pour laquelle je serai toujours plus ou moins une enfant, il y a bien longtemps que je ne suis plus une petite fille qu’on peut infantiliser et éduquer à coup de leçons de morale. J’ai grandi, j’ai vieilli, j’ai vécu, j’ai été forgée par la vie, sculptée par les événements qui l’ont ponctuée. J’ai acquis une conscience politique, sociale, amoureuse, la mienne, elle m’appartient, personne ne peut la remettre en question ou la dévaloriser. J’ai mué plusieurs fois, changeant de peau et de style, m’affirmant dans mes choix et dans mes idées. Je suis indépendante, autonome, capable de vivre seule si et quand je le souhaite, capable d’assumer la moindre de mes envies sans aucun consentement préalable à demander par ailleurs.

Je suis une femme.
Je suis libre de m’habiller comme bon me semble, au gré de mes humeurs et de mes intentions. Je peux passer aussi vite du tailleur-pantalon au jean-baskets que du jogging-débardeur à la robe de soirée. Je porte des mini-jupes aussi souvent que la météo le permet, mes jambes s’affichent, nues et à portée d’yeux, elles se montrent sans pudeur. Je ne suis pas certaine de lire, à l’intérieur de cette façon bien à moi d’assumer ma féminité, une quelconque invitation au viol ou au harcèlement de rue… Et pourtant je lis partout ces horreurs qui touchent de plus en plus mes voisines, mes sœurs, mes collègues. Et pourtant je suis obligée d’avoir peur, d’être vigilante quant aux soi-disant signaux que mes tenues envoient aux hommes autour, de raser les murs, de marcher en bande, de ne pas rentrer trop tard. Parce qu’on me dit que s’il m’arrivait quelque chose, ce serait un peu de ma faute, je l’aurais un peu cherché. Vouloir être sexy, jolie, séduisante, n’est plus un droit mais un appel au crime, un gyrophare clignotant pour indiquer que là, ici, sous ces fringues si courtes se trouve un corps dont il est possible d’abuser. « Go fuck yourselves les tarés », est ce que j’aurais envie de leur crier, mais je ne peux pas, je suis obligée de me résigner, ils ont tort mais je n’ai pas la force de lutter.

Je suis une femme.
Ma sexualité n’appartient qu’à moi et je suis libre de la vivre exactement comme je l’entends. J’ai le droit de multiplier mes partenaires ou de ne me réserver que pour l’un d’entre eux. Je peux choisir de conjuguer le sexe et l’amour ou de les dissocier totalement. Si j’en ai envie, je peux être complètement monogame pendant des mois et vivre ensuite plusieurs semaines de la débauche la plus totale, enchaînant les rencontres et les aventures, m’offrant à tous ceux qui éveillent mon désir. Tu trouves ça vulgaire ? Vas-y, juge, critique, regarde de travers. Elabore des théories se concluant toutes par « mais quelle salope ! ». Fais-le, je ne t’en empêche pas. Mais je te plains un peu d’avoir l’esprit si étroit, de ne pas connaître les émois auxquels toute personne devrait goûter au moins une fois au cours de son existence. Je te plains un peu de ne pas voir au-delà de la simple bestialité, de juger des actes que tu sors de leur contexte, de confondre ce que tu appelles un « manque de respect envers soi-même » avec ce que moi je nomme la « parfaite adéquation entre désirs et actions ». Je te plains un peu de ne pas te demander s’il y a de la trahison dans mes actes ou si toutes mes promesses n’en demeurent pas moins respectées et tenues. Je te plains un peu mais je ne t’en veux pas, l’ignorance peut être une fatalité, je le sais bien, un jour tu chercheras à avoir toutes les clés te permettant de te faire un avis au plus proche de ma réalité, un jour peut-être, qui sait. En attendant, puisque tu te permets d’abattre sur moi ta morale judéo-chrétienne – dont je te vois si souvent dévier, ironie du sort – je vais continuer, de mon côté, de me permettre de jouir de tout et de tous. Après tout, l’intimité est un univers qui se construit à quatre mains et, tant que j’ai le consentement de celui ou celle qui est porteur de la deuxième paire, j’emmerde un peu tous les autres autour.

Je suis une femme.
Alors certes ça veut parfois dire une sexualité débridée, ou pour le moins assumée, mais ce n’est pas que ça et c’est là que ça se corse. Tu as souvent tendance à me résumer à ce qui t’arrange de garder de moi, et pourtant je suis bien plus. Je ne suis pas qu’un corps qui s’offre. Je suis bien sûr la peau qui frissonne sous tes caresses, mais elle est aussi là pour cacher la sensibilité qui coule en-dessous, dans mes veines. Ma bouche ne sert pas qu’à t’embrasser ou à te recevoir, elle est aussi là pour exprimer mes mots. Mes mains te touchent certes, mais elles effleurent aussi les claviers ou les pages blanches des carnets pour me libérer les pensées. Le rythme de mon cœur accélère quand nous faisons l’amour, mais il battait aussi avant et il battra encore après. Ma tête tourne un peu quand tes doigts me titillent, mais le reste du temps elle est parfaitement calée entre mes deux épaules et elle réfléchit. Je ne suis pas qu’un corps qui se donne, je suis aussi de l’émotion et des envies et des projets. Je suis aussi une sensibilité, des attentes et des doutes. Je suis encore la même personne que celle à laquelle tu t’adressais avant que nous partagions ce moment furtif et bestial, alcoolisé et irréfléchi. Tu sais, celle à laquelle tu te confiais, tu te racontais, celle pour laquelle tu t’inquiétais parfois. Aujourd’hui tu ne me vois plus, mais figure-toi que je suis encore là. Et qu’évidemment j’attendais de toi, bien loin des clichés stupides de la nana réclamant l’amour toujours juste après l’amour physique, j’attendais de toi que nous continuions à être ce que nous étions avant. Deux personnes qui se parlaient. Ce sont des hommes comme toi qui empêchent les femmes d’être un peu plus souvent libérées et désinvoltes, ce sont des hommes comme toi qui leur donnent l’impression de n’avoir été qu’un bout de chair, qu’un dévidoir, qu’un réceptacle alors qu’elles commençaient tout juste à assumer d’aimer le sexe sans véritable amour. Les plus vulnérables d’entre elles ne s’y risqueront plus, juste parce tu viens de balayer d’un revers de manche tout un processus inconscient de changement de mentalité, certainement débuté il y a plusieurs années. Il leur faudra tout recommencer. Heureusement qu’en ce qui me concerne, la carapace est bien trop épaisse pour que tu sois capable de la fissurer.

Je suis une femme et vous dites souvent que c’est compliqué à comprendre, bordélique dans la tête autant que dans le sac à main, impossible à suivre.
Je suis une femme et c’est tellement basique pourtant, tellement simple.
Je suis une femme qui essaie d’être fière de qui elle est, et parfois, d’un mot ou d’un regard et sans en avoir le droit, vous m’en empêchez.
Je suis une femme qui va continuer à avancer selon ses convictions, ses valeurs, sur la route qu’elle seule peut tracer. Espérant fort que quand elle arrivera tout au bout et qu’elle regardera en arrière, elle n’ait pas trop à rougir de tout ce qu’elle n’aura pas osé faire pour ne pas trop vous déplaire.

© Isa – mai 2014

dimanche 18 mai 2014

La vie d'artiste

T'es là, tu fais des trucs, ce dont tu as envie, tu vis à fond, tu ne te poses pas vraiment de question, à quoi ça sert les questions hein, on verra plus tard, on verra demain, on verra dans une prochaine vie. Et puis de toute façon t'as pas vraiment le temps de t'arrêter pour y penser, les secondes s'emballent, les minutes défilent, les aiguilles tournent de plus en plus vite et tu n'as pas d'autre choix que de croquer chaque instant à pleines dents, c'est ça ou risquer de le laisser filer à jamais. Avant, il y a une vie ou deux, tu te censurais souvent, tu ne profitais que peu, et tu as accumulé tellement de regrets depuis, tellement de "si j'avais osé", que tu ne veux plus jamais sentir le goût amer de ces moments qui passent sans que tu aies su les vivre pleinement. Si tu les avais dévorés, tu en aurais plutôt senti toute la saveur sucrée...

Donc maintenant, c'est advienne que pourra, on fonce et surtout on évite de réfléchir avant et encore moins pendant. Les amis, le vin, la fête, tout y passe et en multiplié, en beaucoup, en trop. Tu enchaînes les rencontres et les coups de cœur - "oh la la mais qu'est-ce qu'il/elle est sympa !" - tu discutes, tu souris, tu ris, tu partages, tu rends ta peau complètement perméable à tous les petits plaisirs des échanges, tu frissonnes et c'est bon. Les amis, le vin, la fête, les nuits blanches de ne pas dormir mais rouges d'être aussi vivante. Les excès et la démesure, la musique qui met le corps en mouvement malgré lui, descendre des escaliers sur des talons de 12 que tu ne maîtrises jamais aussi bien que quand tu es alcoolisée, te regarder dans le miroir et voir tes yeux pétiller, tes joues rosir, tes lèvres sourire. Ton cerveau bout mais tu n'écoutes pas, il n'y a que ton corps qui compte.

Et puis à un moment tout s'arrête. Tout le monde est parti, les bouteilles sont vides, la musique s'est tue. Tu n'as pas vu arriver la fin, tu es un peu sonnée, étourdie. Pourtant quand tu regardes autour, plus rien ne bouge, tout est calme, silencieux, presque ralenti. Mais ta tête va vite, tes pensées fusent, tu t'étonnes même que ce soit possible malgré l'absence de sommeil, malgré les relents d'alcool, ça va à 2000 à l'heure là-dedans et là tout de suite il faudrait figer un peu, calmer le jeu, prendre le temps de décoder les messages, et la caféine a toujours été la solution pour ça, tu commandes un crème, tu allumes une cigarette, la cent douzième depuis que tu t'es réveillée il y a bien plus de 24 heures, il est temps d'analyser.

Le constat est mitigé, hétérogène, multiple.

Il y a ton corps fatigué, épuisé, vidé. Il y a les premières courbatures dans les mollets et les cuisses, les pieds endoloris par les escarpins et la danse et ces foutus escaliers, les bleus un peu partout, nés de ta maladresse légendaire et démultipliée quand tu es sous l'emprise de l'alcool. Il y a ton dos en compote, les cernes sous tes yeux, ta gorge douloureuse d'avoir trop fumé, ce début de barre horizontale sous ton front, ta peau qui frissonne de ne plus avoir chaud.

Il y a ta vie sociale enrichie, forte de ces nouvelles rencontres, des quelques débats qui ont animé la nuit, agrémentée des sourires des uns et des autres, de leurs mots et de leurs regards, de votre complicité naissante, des verres qui s'entrechoquent quand vous trinquez à la vie, à l'amour, à l'amitié. Il y a la satisfaction d'avoir croqué tout ce que tu pouvais, la vie, l'amour, l'amitié. Tu as mordu dedans, tu en avais plein la bouche et les mains et les yeux, tu t'en es remplie jusqu'à plus soif, il n'y a plus une once de frustration en toi.

Et il y a les questions en rafale. Ai-je besoin de tout cela ? Saurais-je m'en passer si je le décidais ? N'en fais-je pas trop ? Est-ce encore de mon âge ? A cette dernière interrogation tu vois bien que ton corps te crie que non, que tu n'es plus en mesure de suivre ce rythme effréné, qu'il va te falloir des jours pour t'en remettre, que tu es lessivée et un peu vieille aussi, un peu sur le tard dans cet univers de débauche nocturne qui ne prend fin qu'au petit jour, que c'est fini tout ça, que ça doit s'arrêter, que tu t'inventes des capacités que tu n'as plus et que tu t'imagines que tu as raison de le faire pour ne pas perdre une miette.

Et est-ce que c'est ça, la vie ? Est-ce que c'est ça, le vrai et l'important ? Non, bien sûr que non, l'important c'est rentrer chez toi Isa, c'est ne pas trouver les clés au fond de ton sac à main et frapper à la porte en fredonnant "Knockin' on heaven's door" parce que bien sûr qu'il est là le paradis, derrière cette porte-là, dans les yeux de celui-ci qui t'attend derrière, ses yeux bleus immenses qui vont te couver de tellement d'amour que tu vas en vaciller, c'est ça le paradis, c'est le voir t'ouvrir et te sourire et te réfugier dans l'abri intemporel que t'offrent ses bras et sentir s'échapper de la cuisine les odeurs délicieuses de tout ce qu'il a préparé pour toi, c'est ça le paradis, c'est vous deux sur le canapé à vous raconter cette nuit loin de l'autre et à vous murmurer tout le bonheur que vous avez à enfin vous retrouver.

Et toi qui as toujours rêvé d'emplir ta vie de grands et beaux moments, vois donc comme celui-là te comble, vois donc comme il est d'une perfection ultime, inégalable, inébranlable. Rends-toi compte de la chance que tu as de retrouver ton nid, tes draps et ses bras. Le bonheur n'est pas au fond d'une bouteille de vin partagée entre inconnus ou presque, le bonheur n'est pas dans un bistrot parisien où tu vas si souvent que là-bas on ne connaît plus que toi, le bonheur n'est pas d'arpenter les rues à la recherche de sensations nouvelles et grisantes. Le bonheur, c'est te réveiller un dimanche matin, tourner la tête, voir qu'il est là.

Alors tu n'as plus qu'à espérer fort qu'il sera toujours là.

© Isa – mai 2014

lundi 12 mai 2014

Il n'y a que toi

Tu entres dans le bar et plus rien ne bouge autour. Musique en sourdine, voix qui se font murmures, silence. Couleurs qui fondent, serveurs qui disparaissent, néant. Au milieu de ce vide il n’y a désormais plus que toi, tu prends toute la place, tu sembles te mouvoir au rythme d’un air de catwalk, tu n’es que grâce, tu n’es qu’élégance, tu es félin, je ne respire plus. Tu sembles avoir attiré sur toi toutes les attentions, tu es là et ça se sait, tu es là et ça se sent, tu es là et ça se voit, tu es là et je m’écroule.

Je fais comme si, je te souris, je t’embrasse, je t’accueille comme on salue un vieil ami, je contrôle le rouge de mes joues du mieux que je peux, je me rafraîchis d’une gorgée de vin commandé en t’attendant pour masquer mon impatience, puis je cache rapidement mes mains sous la table pour ne pas que tu en devines le tremblement.

Mes yeux balayent la salle dans un mouvement discret, je cherche des repères, des visages amis, un coin où me réfugier si ça devient trop difficile, une issue de secours. Mais je ne trouve rien. Il n’y a rien d’autre que ton sourire qui semble accroché à tes lèvres, ineffaçable, inépuisable, il est tellement intense qu’il se voit jusque dans tes yeux, et ce regard, oh Dieu ce regard… Je me sens proie, je me sens vulnérable, j’ai peur soudain, tu es partout, tu t’imposes à moi, je vibre, j’ai chaud, j’ai froid, je ne suis plus rien.

Je t’entends me parler, de tout, de rien, de toi, des autres, tu badines et je sens bien que ça pourrait être agréable de t’écouter, de te répondre, d’échanger avec toi. Je sens bien que tu fais des efforts pour me divertir, pour t’ouvrir à moi, pour me donner envie d’entrer dans cet échange, en faisant un moment de partage. Mais je suis incapable de fixer mon attention, ta voix me parvient de loin, de si loin, elle est couverte par mon cœur qui bat partout, dans ma poitrine, dans mes poignets, sur mes tempes. Je voudrais te répondre tu sais, je voudrais me raconter moi aussi, je voudrais tout faire pour ne plus paraître si timide, à la limite de coincée même, je voudrais te crier que je ne suis pas comme ça d’habitude, que je suis ouverte, que je suis sociable, que je mène souvent la danse, que j’amuse, que je divertis, que je fais mon show parfois, je voudrais que tu découvres cette femme-là, cette envie emplit tout mon corps mais ne veut pas s’exprimer hors de lui car hors de lui il n’y a que la fragilité de celle qui tombe à la vitesse de l’éclair sous le charme de l'autre et qui est paralysée par ce qu’elle ressent si tôt, si vite, déjà.

J’aimerais tant reprendre le dessus. Inverser la tendance, renverser la vapeur, me faire femme fatale te séduisant sans même chercher à le faire, t’éclabousser de ma féminité, t’entourer de mon charme, t’accrocher à mes yeux et à mes lèvres, m’enrouler autour de toi, tisser ma toile, t’y faire prisonnier, te rendre fou, te rendre mien, là, ici, maintenant.

Pour la toute première fois depuis que je suis entrée dans le jeu de la séduction, et cela fait bien des années maintenant, cela représente bien des rencontres tu sais, pour la toute première fois je me sens totalement désarmée. En attente, demandeuse, pantelante, avec tout mon pouvoir habituel en voie d’extinction, avec toutes mes certitudes et mon assurance enfouies bien loin en dessous de couches et de couches d’une timidité qui ne me ressemble pas.

Mais pourquoi ?
Que m’as-tu fait ?
Et, pire… Que vas-tu faire de moi ?

© Isa – mai 2014

vendredi 9 mai 2014

L'après

Y a rien de plus erroné que le champ lexical qu'on utilise quand on tourne la page d'une relation qui a compté. Dire que l'histoire est terminée, que tout est fini entre nous, qu'on a mis le point final au bout de la toute dernière page, c'est se fourrer un putain de doigt dans l’œil et au moins jusqu'au coude, parfois même jusqu'à l'épaule.

Rien n'est fini. Rien. Y a toujours un après, toujours. 

Ce n'est évidemment pas parce qu'il est rempli de vide et de silences que cet après n'existe pas. Au contraire. Il se fait sentir bien plus que le "pendant", ce pendant que tu as sucé jusqu'à la substantifique moelle, dont tu t'es nourrie et repue, dont tu as profité jusqu'à t'en enivrer, jusqu'à en arriver au bout, jusqu'à ce qu'il devienne passé. Cet après, il est bien plus présent que l'avant, l'avant où tu ne connaissais pas l'autre, où tu ne l'imaginais pas, où tu ne l'espérais même pas. Tu ne te rendais même pas compte que tu pourrais avoir de la place pour quelqu'un pile comme cet autre là dans ta vie, comment aurait-il pu te manquer ?

L'après c'est souvent le doute. C'est ressasser les raisons pour lesquelles tu as décidé de t'en aller et ne plus leur trouver aucun sens, aucune légitimité. C'est introspecter et chercher à l'intérieur de toi toutes les parcelles douloureuses et te demander si elles n'étaient pas moins nombreuses avant, si le remède n'est finalement pas pire que le mal qu'il est censé combattre, s'il y a encore un peu de courage dans tes veines pour surmonter l'épreuve.

L'après c'est souvent les questions qui resteront sans réponses. Comment va-t-il ? Que vit-il loin de moi ? Comment vit-il mon absence ? La remarque-t-il seulement ? C'est ne plus savoir, ne plus partager, entendre parler de cet autre par nos relations communes, le voir évoluer mais de bien plus loin, ne plus avoir les explications VIP de certaines de ses affirmations mystérieuses, te contenter de lire son nom cité par un autre, ne plus jamais le sortir de ta bouche, ne plus jamais le sortir de tes doigts. Faire vœu de silence, ou à peu près.

L'après, c'est aussi assumer tes décisions avec maladresse, devenir le porte-parole de ton propre manque, irrationnel, intrusif, éclaboussant aux yeux des autres à qui tu aimerais pourtant pouvoir tout cacher, continuer à rire, à sourire, à faire comme si, faire en sorte que ça ne se voie pas, qu'on ne le sente pas, que tes appels du pied passent inaperçus, que les mots que tu prononces paraissent destinés à tous quand ils ne sont que pour lui.

L'après, c'est faire attention à ne pas briller par ton absence, te faire discrète, cachée, éviter de trouver un écho à ce que tu exprimes tout en sachant que tes mots seront relayés et arriveront jusqu'à ses yeux, avoir un peu peur de l'impact qu'ils auront, de la colère qu'ils provoqueront, tu l'entends déjà penser si fort "mais elle se fout de la gueule de qui celle-là ?" et il aura raison et tu le sais, mais tu ne sais pas faire autrement que de parler, que d'écrire, et ça, lui, il le sait. Alors il comprendra, ou à peu près. Il pardonnera, ou à peu près.

L'après existe, il est là, on y est, on est en plein milieu, on est en plein dedans, y a pas de fin tu vois, bien sûr qu'il n'y en a pas. L'après c'est même plutôt le début de toute une nouvelle histoire à deux, toi qui es là sans lui, mais lui qui restes là en toi. Entouré de vide, magnifié par le manque, sublimé par la distance, donc encore tellement là. 

Maintenant y a plus qu'à apprendre à aimer vivre avec ça. Apprendre à aimer vivre après ça.

© Isa – mai 2014

samedi 3 mai 2014

Le déséquilibre

(Se) Rencontrer.
Te croiser, au hasard d'une connaissance commune, je ne sais déjà plus qui, je ne sais plus quand c'était, il y a une semaine, un an, une vie, te croiser comme une drôle de coïncidence, comme un imprévu, comme une anomalie, une fantaisie, te croiser et me surprendre à sourire de ta présence, à m'en étonner souvent puis à la rechercher parfois, te croiser et cela n'arrivera plus jamais par hasard.

(Se) Reconnaître.
De temps en temps sentir une pointe d'un je ne sais quoi qui m'interpelle quand tu t'exprimes, en être troublée un peu, c'est bizarre, c'est inédit, quelque chose en toi me parle, quelque chose m'attire, tu es sombre puis tu rayonnes, tu tombes et te relèves la seconde d'après, tu regardes partout autour pour vérifier que personne ne t'a vu, mais j'ai vu, je vois à chaque fois, non pas que je te guette mais je te sais déjà. Te savoir parce que je vois tant de moi en toi, la ligne de ton humeur qui est tout sauf droite, tout sauf en continu. Et ces blessures, ces fêlures, là tout de suite tu les caches sous une tonne d'artifices et de rires et de bêtises et de superflu et dans une heure tu les exhiberas, tu montreras tes cicatrices, les traces que la vie a laissées sur ton corps, tu les dévoileras en réclamant en larmes qu'on les voie, qu'on y fasse attention, qu'on y dépose des baisers guérisseurs et de la pommade parfumée à l'empathie. Te savoir parce que j'ai partout sur moi exactement les mêmes marques, celles sculptées en relief - les bosses, les creux - par le parcours chaotique de l'enfant abandonnée, blessée, agressée, bafouée, humiliée, bridée, on le sait bien que plusieurs vécus peuvent avoir les mêmes conséquences, nous sommes tous les deux des conséquences de manques, pas les mêmes, pas de la même ampleur, mais qu'importe, on a poussé sans tuteur et on partage nos séquelles. Te savoir et te reconnaître, voir qui tu es, voir qui je suis en toi, te savoir et me reconnaître.

(S') Aimer.
Fatalement tomber en amour, inconditionnel, étrange, puissant, comment pourrait-il en être autrement, il paraît que j'ai toujours eu l'amour et le "je t'aime" faciles, c'est ce qu'on dit de moi, c'est ce qui est tatoué sur ma peau. Nous ne sommes qu'une poignée en ce monde à savoir à quel point ce n'est pas si vrai, qu'il m'en faut beaucoup pour aimer autant, aussi vite et aussi fort, mais sans ambition et sans agenda, aimer comme on aime quelques rares fois dans sa vie, sans matérialité, sans contrainte, sans plafond et sans mesure, juste parce qu'il le faut, juste parce qu'on le peut, juste comme ça s'impose, là, comme ça, comme une évidence. Il m'en faut beaucoup pour en arriver là et pourtant avec rien tu me l'as inspiré, avec trois fois rien, quelques mots échangés, peu, très peu, tu n'es pas bien bavard mais ça me va, le "beaucoup" que je n'ai pas dans sa notion quantitative je le glane dans l'intensité. Et ça me va. 

(Se) Donner.
Te couver du regard pour ne pas rater la moindre miette, le moindre faux pas qui te ferait glisser et avoir du mal à te relever, être vigilante à tes gestes et tenter en même temps de ne pas être omniprésente, flirter souvent avec la ligne, avoir peur d'en faire trop, de devenir gênante, surprotectrice peut-être, prendre un peu de recul, ajuster la distance pour à la fois être suffisamment proche - pour être en capacité d'intervenir vite - mais pas trop - pour ne pas envahir. Répondre présente à chaque appel, à chaque signal de détresse, à chaque demande d'attention, passer du temps, écrire des lignes et des lignes entières pour regonfler le moral tout aplati, balancer des mots et des phrases qui se veulent rassurants, apaisants, forts mais objectifs, mesurés pour être crédibles, passer du temps, encore, y mettre de l'énergie, beaucoup, être là, le soutien, l'oreille, l'épaule, la main qui caresse les cheveux et les lèvres qui embrassent le front. Passer du temps et y mettre du mien, y mettre du moi, de qui je suis, de ce que j'ai à donner, ne pas censurer les élans quand ils peuvent faire du bien, ne rien retenir et lâcher tout ce qui peut faire du bien, passer du temps et me vider. Lâcher prise, lâcher les codes qui disent et veulent que le contexte m'interdit d'agir comme je le fais, de prendre autant à cœur, t'écouter, te lire, essayer tant bien que mal de te relever mais uniquement quand tu le demandes, rater souvent mais réessayer toujours. Donner parce que ça vient naturellement, parce que de toute façon même quand tu ne demandes pas ça veut sortir de moi, mais tu demandes beaucoup et souvent, alors à chaque fois tu reçois.

(S') Attendre.
Puis à un moment me rendre compte que j'aimerais bien recevoir un peu en échange, non pas que tu ne donnes pas, mais tu ne donnes pas ce que j'attends, pas autant que je le voudrais, pas aussi souvent qu'il le faudrait, pas comme j'en ai besoin. M'en vouloir un peu de ressentir ça, l'amour c'est gratuit, le don devrait l'être aussi, alors je me tais, je prends sur moi, je relativise, je me contente de ce qui existe, tes mots parfois, ta voix de temps en temps, ton horloge qui s'arrête sur moi quand rien ne capte ton attention ailleurs, tu écoutes un peu, tu tentes de rassurer, on y passe quelques minutes, guère plus, mais tu es là je vois bien que tu es là et que tu surveilles de loin, que tes yeux m'épient, je te vois dans le fond de la pièce, discret, presque caché, balayant la salle du regard et vérifiant que tout va bien, que ça roule, que j'ai assez de carburant pour avancer encore quelques heures, tu veilles à en remettre un peu régulièrement, mais jamais le plein, juste ce qu'il faut, je roule sur la réserve quand ton réservoir à toi déborde de mon énergie à moi. Je suis là à jauger ce déséquilibre et à me dire que merde c'est pas si grave tant que ça fonctionne pour nous deux, au final on s'y retrouve, je me sens forte d'être là pour toi et je m'accroche fort à cette idée là, et puis putain y a pas que toi dans la vie, y a mes autres amis aussi et eux m'entourent et me comblent alors tant pis si tu n'es pas assez là. Mais j'attends quand même que la balance revienne à l'équilibre, ou j'espère plutôt. Parce qu'en parallèle tu obtiens de moi absolument tout ce que tu demandes, les déclarations et les attentions et tout ce dont tu as besoin et que je suis en mesure de te fournir.

(Se) Reprocher.
Pourtant, tu ne manques pas de faire savoir quand parfois je ne fais pas assez vite ou assez bien, tu me reproches de ne pas être assez là, de ne pas faire comme il faut, de ne pas dire pardon, de ne pas dire bonjour, de ne pas dire merci. D'en faire trop avec les autres, pas assez avec toi, de ne plus être comme avant, de changer, de m'éloigner, de rire et d'être légère quand l'heure est grave, "mais tu ne vois pas, hein, que l'heure est grave ?", dis-tu, cries-tu même parfois, avec toute ta rétention de mots et d'attentions, avec tous ces silences que tu sais m'imposer comme personne. Et moi qui reçois ça comme une claque dans la gueule, comme un uppercut même, et merde je l'avais pas vu venir, pourtant j'avais les yeux baissés, j'aurais dû voir le coup monter d'en bas, mais le champ de vision rétréci par les larmes m'empêche de bien y voir. Et moi qui reçois les reproches et les encaisses sans vaciller, les doigts en sang serrés à cette putain de corde qui entoure le ring-théâtre de nos débats sanglants, violents, nos joutes verbales teintées de tant d'incompréhensions qu'on n'ose même plus se faire répéter mutuellement, on lâche l'affaire, on ne se comprend pas, on ne s'aime plus, on est foutus, à quoi bon, c'est comme ça.

(Se) Quitter & (se) revenir.
Alors on s'en va, chacun dans son coin, tu boudes, je t'en veux, je fais la gueule, tu me méprises. On se voit pavaner l'un devant l'autre mais plus jamais l'un à côté de l'autre, on se regarde de loin, on se scrute encore mais tour à tour, surtout ne pas lui montrer que je le guette, surtout ne pas lui faire voir que la toise. T'es à l'autre bout là-bas, loin tellement loin de tout ce que j'attends de toi et de nous, mais putain ma grande arrête d'attendre il a dit qu'il ne te le donnerait pas, il a dit que tu demandais beaucoup trop pour ce qu'il était en capacité de donner, il a bien bien insisté sur le fait que ce que tu avais là tu n'aurais jamais mieux, ouais mais je suis quand même en manque parce que ce que j'avais au plus fort de notre histoire je ne l'ai déjà plus, ça a disparu, ça aura été bref mais intense, ça aura ressemblé vaguement à ce que j'en attendais, ça ne comblait pas toutes les envies mais c'était déjà pas mal mais c'est le passé déjà. Puis tu reviens, mais jamais vraiment la queue entre les jambes, dire "pardon j'ai été dur" ça te ferait mal à la bouche putain, tu ne le dis pas ça hein, c'est trop douloureux ça, et puis je ne mérite pas faut croire, parce que nan nan tu ne reviens pas avec ça dans les mots mais plutôt avec que dalle, avec un "reprenons là où c'était bien" en pensant que ça efface tout et c'est normal que tu penses ça parce que j'accepte à chaque fois, je dis oui oui on efface et on se tombe dans les bras. En vrai tu sais ça s'efface pas, j'ai tout essayé, la gomme, le White Spirit et l'huile de coude, ça s'efface pas, y a une ardoise là quelque part avec dessus toute une liste de rancœurs et heureusement qu'elle est là cette putain d'ardoise parce que les rancœurs elles sont bien mieux là-dessus qu'à l'intérieur de moi.

(Se) Perdre.
Du coup tu sais je sens bien que je te perds, tu es là sans être vraiment là, tu es loin maintenant, tu as beau être revenu tu n'es plus que l'ombre de celui qu'on avait décidé que tu serais pour moi, tu n'utilises plus les codes et les rites qui faisaient de nous ceux/ce que nous étions. Et tu me perds aussi tu sais, parce que je te vois demander plus que ce que tu ne donnes, putain je sais que tu as manqué de plein de choses, qu'aujourd'hui encore tu en manques un peu, merde je sais tellement à quel point tu as besoin de preuves d'attention, de marques d'affection, d'une certaine reconnaissance, mais vois-tu ce que tu demandes parfois ? Vois-tu tes exigences ? Regardes-tu parfois avec autre chose que tes yeux à quel point ça donne, ça donne, ça envoie, ça balance autour de toi, pour te mettre bien, en haut, en supériorité, sur un piédestal un peu, le vois-tu ? Le constates-tu ? Te rends-tu compte de ce qui est fait par tendresse et admiration pour toi ? Et juste comme ça, juste pour te faire du bien, juste pour te prouver l'intérêt et la présence et le support, la base qu'il y a là sous tes pieds, sans nulle autre ambition, sans nul autre agenda (sic) ? Vois-tu tous les efforts de communication, l'eau dans le vin, le gant de velours avec lequel on te caresse, vois-tu à quel point l'équipe derrière se mobilise, travaille de ses petites mains à coudre ton nom avec du fil d'or, le vois-tu au moins ? Tu me perds quand tu ne sais plus voir tout cela, tu me perds quand tu ne sais plus remercier pour tout cela, passe encore que je ne bénéficie pas des mêmes largesses de ta part, soit, mais si maintenant en plus même mes efforts à moi passent inaperçus... à quoi puis-je servir, pourquoi resterais-je ? Je te perds, tu me perds, je ne serai jamais capable d'écrire le point final de notre histoire, c'était trop, c'est encore trop et je ne peux pas me passer de nous, et je sais tout le paradoxe qu'il y a dans cette dernière phrase mais même si tu me perds je serai toujours là.

© Isa – mai 2014