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mardi 20 décembre 2016

Récurrence

Tu t'étonnes si souvent que je te revienne toujours. Comme si tu ne comprenais pas la récurrence implacable, comme s'il était possible qu'il en soit autrement, comme si un jour ce ne serait plus le cas.

Est-il encore imaginable, à tes yeux, dans ton esprit, que je t'échappe tout à fait, définitivement, que je disparaisse pour de bon, lasse de nous, de ce que nous étions il y a 15 ans déjà, de ce que nous avons appris à devenir aujourd'hui, de ce que les gens diront encore de nous à la toute fin et après encore ?
Est-il encore imaginable, à tes yeux, dans ta tête, que je fasse une croix sur l'amour, le tout premier amour, que je m'extirpe de notre histoire, que je la range au loin comme un souvenir gênant, que je renie celui que tu as été, es et seras, que je t'abandonne au creux d'un lointain passé sans impact sur aujourd'hui, que je te jette aux oubliettes, que tu disparaisses dans les limbes du temps qui passe ?
Est-il encore imaginable, à tes yeux, dans ton cœur, qu'on se dise un jour 'adieu', un adieu dénué de regrets et de peine et de nostalgie et d'ivresse, un adieu sincère, comme un livre qu'on referme, comme une porte qu'on referme, comme un pays qu'on ne visitera plus jamais ?
Est-il encore seulement imaginable, à tes yeux, dans ce que tu ressens pour moi, dans ce que je ressens pour toi, qu'on se lasse, qu'on se perde, qu'on s'éteigne, nous la lumière, nous le souvenir, nous la nostalgie, nous la définition de ce que l'amour fait de plus vil et de plus pur et de plus grand, nous les interdits, nous les émois qu'on n'attendait plus, ou pas encore, nous ceux que la Terre a toujours enviés ?
Est-il encore imaginable, à tes yeux, dans ton corps, que plus jamais l'on ne se voie, que plus jamais l'on ne se touche, que plus jamais l'on ne s'apprenne, nous et notre soif de l'autre, indicible, intangible, irrésistible, incompréhensible, nous et notre faim de mains et de langues et de bouches, nous et nos peaux qui s'attirent, nous et ce qui nous rapproche malgré le temps et la distance qui s'acharnent tous deux à nous éloigner l'un de l'autre, est-il encore imaginable, à tes yeux, que tout cela disparaisse ?

A mes yeux, dans mon esprit, dans ma tête, dans mon cœur, dans mon corps, rien d'autre n'est imaginable que de te revenir encore, et encore... et encore.

© Isa – 20 décembre 2016

samedi 17 décembre 2016

Ce "nous" où il n'y a que toi

Tu le sens, le danger, il revient, il rôde, nous en sommes encore là, toi et moi, à aimer prendre des risques, à aimer les défis, toi qui cherches le mal partout, moi qui te suis sans mot dire parce que tu seras toujours celle de nous deux qui prendra les décisions, moi je reste là bloquée sur nos erreurs d'hier, tu en es déjà à vouloir les répéter aujourd'hui, nous vivrons tout cela ensemble demain, tu mènes la danse, je rends les armes.

Tu capitules quand tu es tentée, tu ne résistes jamais, tu te laisses aller, tu sens vaguement au loin les effluves des conséquences désastreuses qu'auront inévitablement tes choix, puis tu tournes la tête pour ne plus rien sentir et tu fonces, tête baissée, sourcils froncés, poings en avant, j'ai à peine le temps de prendre une bouffée d'air et de courage qu'il me faut déjà te suivre dans ces pérégrinations que tu nous imposes à ton rythme si particulier, si effréné, tu es déjà si loin devant que pour ne pas te perdre de vue il me faudra toujours me dépêcher.

Tu te moques des convenances, et des codes, et des bonnes mœurs, tu te moques des yeux qui se posent sur toi pendant que tu avances, erratique, décidée, insolente, presque ingrate, qu'importe ce qu'ils en pensent, les œillades noires qu'ils lancent, tu ne vois rien d'autre que ta destination, et moi je ne sais pas où on va, pourquoi on y va si vite, si à un moment tu me laisseras reprendre mon souffle, je lance des regards affolés à nos spectateurs interdits, personne ne peut aider, ta détermination nous met hors de portée, rouleau compresseur, train à grande vitesse, il est déjà écrit que rien ne pourra t'arrêter, qui suis-je pour ne serait-ce que penser à tenter ?

Tu n'as pas de filtre, pas de frein, aucune sensibilité susceptible de te faire te contenir, il n'y a plus de retour possible, marcher, courir, accélérer, s'entêter, avancer, et moi pendant ce temps-là je m’essouffle et m'échine, tu contrôles, je cède, tu agis, je subis, tu t'emballes, je faiblis, tu décides, je te suis, tu prends, je donne, tu te hâtes, je vacille, tu vis, je souffre.

A quoi cela sert-il encore que je sois là, impuissante, fébrile, hésitante, dans la retenue et la crainte, dans la nostalgie d'hier, dans la peur de demain, il n'est de toute façon jamais plus question de moi, tu prends toute la place, tu m'en laisses si peu, je m'affaiblis à ton profit, et plus je lutterai et plus tu t'imposeras, qu'à cela ne tienne, fais, je me tais, dans ce qui jadis était un "nous", aujourd'hui il n'y a presque plus que toi.

© Isa – 17 décembre 2016

dimanche 13 novembre 2016

L'espace-temps

Il reste peu de temps, quelques années, quelques mois, quelques heures, une fraction de seconde peut-être, il reste peu de temps pour dévorer, pour construire, pour parcourir, peu de temps pour l'espoir, pour la folie, pour l'amour, il reste bien trop peu de temps et encore tant à voir, tant à faire, tant à partager, il reste peu de temps mais encore trop d'hésitations, trop de doutes, trop de craintes, et les obstacles, ah ces obstacles, il reste peu de temps et il nous faut l'occuper, le remplir, en faire quelque chose, de grandes choses, de petits riens, il reste peu de temps et j'ai du mal à respirer.

Et le monde est si grand, les forêts, les jardins, les mers et les déserts, les horizons orange, les soleils qui se cachent, ou qui brillent, ou qui brûlent, les cieux qui s'enflamment ou se noient ou s'éteignent, et ce monde est si grand qu'on le devine à peine, qu'on le rêve, qu'on l'imagine, qu'il fait tourner nos têtes de n'être qu'un secret, des milliers de secrets, de n'être qu'une équation qu'on ne saura résoudre, les inconnues sont telles qu'elles nous échappent encore, et encore, et encore, et ce monde est si grand que j'en ai le souffle coupé.

Et il y a tant de gens, ceux qu'on aime, ceux qu'on voudrait connaître, ceux qu'il nous faut détester, parce que la vie, parce que la guerre, ceux dont on voudrait être proches, encore plus proches, il y a tant de gens, ceux qui nous inspirent, ceux qui nous révoltent, ceux qui nous touchent sans le savoir, ceux qui nous manquent, il y a tellement de gens, ceux pour lesquels on veut se battre, ceux qui nous font baisser les armes et les yeux et la tête, ceux devant lesquels on s'efface, on se couche, ceux contre lesquels on se dressera toujours, parce que la vie, parce que la guerre, parce que l'amour, il y a tellement de gens et j'ai peur d'étouffer.

Il reste peu de temps, et le monde est si grand, et il y a tant de gens, je ne sais plus où aimer.

© Isa – 13 novembre 2016

lundi 12 septembre 2016

Inégaux

Tu es là à courir sur les chemins de la vie, léger et insouciant, contemplatif et acteur, tu avances en perdant juste ce qu'il faut de temps pour observer avec sérénité ce qu'il se passe autour de toi, tu sautilles et t'envoles parfois, tu regardes l'horizon sans ne jamais te sentir limité par lui, tu souris, tu respires l'odeur des fleurs, l'air t'emplit les poumons, tu te sens si vivant, si à ta place, tu ne perds jamais le fil, la route est bien trop belle pour envisager de t'en éloigner, elle t'attend, elle brille, elle te guide, tu es là à la parcourir de toute la force de ton corps si plein d'une si belle énergie, de toute l'envie de ton mental si plein d'un si fort appétit, tu avales les kilomètres sans vaciller, le vent te porte plus qu'il ne te ralentit, le soleil te réchauffe plus qu'il ne te brûle, les bruits te stimulent plus qu'ils ne t'oppressent, tu respires, tu cours, tu avances, toute la vie s'étend là devant tes pieds, il n'y a plus qu'à la laisser t'emmener loin, vers ce truc un peu merveilleux qu'est le bonheur, tu sais qu'il est là, il n'est pas qu'au bout de la route, il est déjà tout autour de toi, il caresse ta peau, il t'enveloppe, il est en toi, tu es en lui, et rien ne pourra jamais t'arrêter, tu vis.

De l'autre côté de ce prisme, il y a moi, moi si lourde, moi si consciente de mes failles, moi si coincée dans mes vices, à la fois victime et coupable, moi si ralentie par les limites d'un corps inhospitalier, déformé, souillé, par les limites d'un cerveau si embrumé, si fatigué, soutenu par la chimie devenue indispensable, moi si ralentie par la vie qui me tourmente, qui me teste, qui se dresse comme un mur infranchissable devant mes jambes si vides, si douloureuses, et la tête qui me tourne et m'empêche de regarder droit devant moi, alors je bascule, je tergiverse, les routes sont sinueuses, étroites, sombres, l'odeur de la mort plane autour, il fait froid, puis si chaud, il pleut, ma peau me tire, je faiblis, je m'arrête, je cherche l'air, il me manque, je suffoque, j'étouffe, et je pleure, et je pleure, je n'y vois plus rien, que de l'eau, et son goût amer qui se pose sur mes lèvres que je mords jusqu'au sang pour ne plus sentir le goût de mes larmes, et tout est flou, et tout est si dur, tout est si méchant, j'ai froid encore, je voudrais juste m'allonger quelque part et attendre, attendre le déclic, ou la fin, attendre qu'il se passe quelque chose, que ça change, qu'il y ait du beau et du facile ou alors du néant, j'ai mal, j'ai peur, je tombe, je meurs.

© Isa – 12 septembre 2016

mardi 15 mars 2016

Ne pas mourir

Il était à court d'idées pour ralentir le rythme auquel il vivait les choses. Anxiolytiques, rendez-vous hebdomadaires avec un thérapeute hors de prix, week-ends isolé au milieu de nulle part, rien n'y faisait. En dehors de ces parenthèses qu'il se forçait à s'accorder, et même à l'intérieur d'elles - le cerveau ne s'arrête jamais - il vivait avec frénésie chaque seconde qui s'écoulait.

Boulimique de travail, friand de mondanités diverses, éternel amoureux des femmes, il enchaînait les journées où il passait une douzaine d'heures au bureau, puis quelques-unes à se constituer un réseau, enfin parfois plusieurs autres à faire l'amour à sa conquête du jour. 

Tous les matins, épuisé, il se disait qu'il devait changer. Tous les soirs, il recommençait. Il n'avait  jamais réussi à identifier clairement d'où venait ce besoin presque viscéral de ne jamais perdre une seconde. La peur de la solitude ? De la mort ? Du temps qui passe ? Il avait beau avoir entamé depuis de longs mois une thérapie dont il ne saurait plus se passer, celle-ci n'avait pas encore révélé les clés de compréhension de son mode de fonctionnement.

A plus de 40 ans, les nombreuses heures de sport qu'il faisait le week-end ne parvenaient plus à compenser l'hygiène de vie déplorable qui était la sienne. L'alcool, les médicaments, les nuits si courtes, bien trop courtes, le stress d'un métier passionnant mais prenant, les repas sur le pouce, le cerveau toujours en ébullition, il avait depuis longtemps la certitude qu'il ne tiendrait pas bien longtemps à ce rythme et était persuadé qu'il mourrait jeune, dans la fleur de l'âge, mais sans regrets ni remords parce qu'il aurait tout vu, tout vécu.

Pourtant, quelque chose changeait ces temps-ci. Comme si la peur s'installait. Comme si la vie avait encore de l'intérêt. Comme s'il n'était pas prêt à tirer sa révérence, qu'il voulait encore découvrir, sentir, vibrer... construire. Comme s'il n'arrivait plus à se résoudre à disparaître sans ne rien laisser derrière lui, comme si l'air venait à lui manquer quand il réalisait qu'il était en train de se laisser mourir à force de vivre trop fort, trop vite. Comme s'il était temps de rattraper les bêtises du passé, de transformer le présent pour se créer un futur qui pouvait durer.

Il ne savait pas encore comment il s'y prendrait, mais cette toute nouvelle soif de vie était désormais bien trop incrustée pour qu'il la laisse s'échapper.

© Isa – 15 mars 2016

mardi 16 février 2016

C'est pour...

C'est pour ta voix qu'ils ont inventé le mot "amour". Pour ce que tu en fais, quand tu parles, quand tu ris, quand tu chantes, quand tu susurres, quand tu cries, pour ce qu'elle me fait quand c'est à moi qu'elle s'adresse, quand tu me réserves tes mots, tes rires, tes chansons, tes soupirs, tes cris, c'est pour ce qu'elle m'envoie qu'ils ont inventé le mot "amour".

C'est pour ton corps qu'ils ont inventé le mot "désir". Pour tes mouvements, pour tes gestes, pour ta main quand elle se pose sur le volant de ta voiture, pour tes lèvres qui remuent sans que je n'écoute plus ce que tu dis, hypnotisée par l'air que tu brasses quand tu bouges, par l'énergie que tu déplaces, par les volutes de fumée qui s'échappent de ta bouche, c'est pour ta présence qu'ils ont inventé le mot "désir".

C'est pour la distance qu'ils ont inventé le mot "impatience". Pour les kilomètres qui nous retiennent loin l'un de l'autre, pour les années qui ne nous ont pas attendus, pour les mots et les gestes qu'on retient, pour la vie qui ne nous a pas épargnés avant de nous amener l'un à l'autre, pour les tourments qui nous empêchent de nous appartenir pleinement, pour ces mots qu'on se lâche avant même d'avoir goûté à nos peaux, c'est pour tout ce qui n'est pas encore à nous et qui ne sera jamais nôtre qu'ils ont inventé le mot "impatience".

C'est pour le feu que tu fais naître qu'ils ont inventé le mot "folie". Pour la vitesse à laquelle le bas de mon ventre s'enflamme, pour le grain de ma peau qui frissonne de ne pas être sûre de te plaire, pour l'odeur de ton cou qui m'échappe et m'entête déjà, pour les imperfections dont nous sommes friands avant même d'en avoir conscience, pour les incendies qu'on allume sans en avoir l'air, pour ces échanges si courts, beaucoup trop courts, pour le temps qui file sans vouloir nous attendre, pour le temps qui se fige sans vouloir se presser de nous réunir, c'est pour ce que je veux de toi et pour ce que tu attends de moi qu'ils ont inventé le mot "folie".

C'est pour nous qu'ils ont inventé ce qui existe déjà et ce qui n'existera jamais.
C'est à nous de faire en sorte qu'ils n'aient pas une seule fois à le regretter.

© Isa – 16 février 2016

vendredi 15 janvier 2016

#Eux

Ils n'étaient pas que deux à l'intérieur de leur couple, ils n'étaient pas qu'un lui et une elle qui se rencontrent, se découvrent et se donnent à l'autre, ils n'étaient pas qu'une bulle hermétique au reste autour, à la vie, au monde, aux gens autour, ils n'étaient pas seuls à décider, pas seuls à définir leur destin, ils n'étaient pas que deux dans ce couple, ils n'étaient même pas un couple.

Ils s'étaient croisés au gré de pérégrinations douteuses, il avait envie d'un regard, elle avait besoin de mots, la vie les avait menés l'un à l'autre et ils avaient fait le reste, elle l'avait regardé, il lui avait parlé. De leurs rencontres furtives était né quelque chose de tout à fait unique, à importance fluctuante, à géométrie variable parfois, quelque chose d'un peu fou et de déraisonnable, quelque chose que les heures passées ensemble rendaient magique et fort et surprenant et beau, quelque chose que les heures passées loin l'un de l'autre rendaient déboussolant et fantasmagorique et dérangeant et beau, quelque chose qu'ils laissaient pousser en arrosant de mots et d'alcool et de regards et de mains sur la peau, quelque chose qui leur échappait un peu, glissait entre leurs doigts emmêlés, quelque chose qui existait.

Ils se questionnaient beaucoup, chacun séparément, tous deux mutuellement, ils étaient dans l'analyse de ce qu'ils vivaient parfois plus que dans le vivre lui-même, dans la quête sans fin de sens et d'excuses et de compromis, dans l'expression de leurs peurs et de leurs besoins et des doutes que l'autre éveillait inlassablement, ils étaient dans un espace-temps décousu où la passion entretenait la douce folie, où ils se promettaient de ne jamais rien se promettre, ils étaient dans le paradoxe de l'histoire mal assumée mais incontournable, dans la rage de se consommer sans se rassasier, dans l'exagération de l'ampleur, dans l'utilisation de mots forts, de mots sûrs, dans la déclaration hâtive sur laquelle ils revenaient parfois, ils étaient dans le je te donne beaucoup mais je peux reprendre aussi vite, dans le je te donne beaucoup mais je ne me donne pas moi, ça, ça n'arrivera pas.

Et puis il n'y avait pas qu'eux en eux, pas qu'eux entre eux, leurs individualités et leur fusion ne suffisaient pas à les définir tout à fait, il y avait en plus de cela la vie qui avait commencé longtemps avant la naissance de leur binôme, il y avait tout ce qui pré-existait à leur histoire et ne manquait pas de perdurer autour d'eux, à côté d'eux, entre eux souvent, il y avait le monde qui continuait de s'affoler et la Terre qui continuait de tourner, il y avait 6 milliards d'autres humains dont quelques-uns comptaient plus que les autres, il s'agissait de ne rien fragiliser, il s'agissait de ne rien meurtrir, il s'agissait de ne rien compromettre, il s'agissait de ne rien bousculer, il s'agissait de trouver une place, petite, minuscule, infime, une toute petite case où ranger ce qu'ils étaient devenus ensemble, une toute petite place où ce qu'ils laissaient arriver ne détruirait jamais rien, ni personne, pas même eux.

© Isa – janvier 2016