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vendredi 15 janvier 2016

#Eux

Ils n'étaient pas que deux à l'intérieur de leur couple, ils n'étaient pas qu'un lui et une elle qui se rencontrent, se découvrent et se donnent à l'autre, ils n'étaient pas qu'une bulle hermétique au reste autour, à la vie, au monde, aux gens autour, ils n'étaient pas seuls à décider, pas seuls à définir leur destin, ils n'étaient pas que deux dans ce couple, ils n'étaient même pas un couple.

Ils s'étaient croisés au gré de pérégrinations douteuses, il avait envie d'un regard, elle avait besoin de mots, la vie les avait menés l'un à l'autre et ils avaient fait le reste, elle l'avait regardé, il lui avait parlé. De leurs rencontres furtives était né quelque chose de tout à fait unique, à importance fluctuante, à géométrie variable parfois, quelque chose d'un peu fou et de déraisonnable, quelque chose que les heures passées ensemble rendaient magique et fort et surprenant et beau, quelque chose que les heures passées loin l'un de l'autre rendaient déboussolant et fantasmagorique et dérangeant et beau, quelque chose qu'ils laissaient pousser en arrosant de mots et d'alcool et de regards et de mains sur la peau, quelque chose qui leur échappait un peu, glissait entre leurs doigts emmêlés, quelque chose qui existait.

Ils se questionnaient beaucoup, chacun séparément, tous deux mutuellement, ils étaient dans l'analyse de ce qu'ils vivaient parfois plus que dans le vivre lui-même, dans la quête sans fin de sens et d'excuses et de compromis, dans l'expression de leurs peurs et de leurs besoins et des doutes que l'autre éveillait inlassablement, ils étaient dans un espace-temps décousu où la passion entretenait la douce folie, où ils se promettaient de ne jamais rien se promettre, ils étaient dans le paradoxe de l'histoire mal assumée mais incontournable, dans la rage de se consommer sans se rassasier, dans l'exagération de l'ampleur, dans l'utilisation de mots forts, de mots sûrs, dans la déclaration hâtive sur laquelle ils revenaient parfois, ils étaient dans le je te donne beaucoup mais je peux reprendre aussi vite, dans le je te donne beaucoup mais je ne me donne pas moi, ça, ça n'arrivera pas.

Et puis il n'y avait pas qu'eux en eux, pas qu'eux entre eux, leurs individualités et leur fusion ne suffisaient pas à les définir tout à fait, il y avait en plus de cela la vie qui avait commencé longtemps avant la naissance de leur binôme, il y avait tout ce qui pré-existait à leur histoire et ne manquait pas de perdurer autour d'eux, à côté d'eux, entre eux souvent, il y avait le monde qui continuait de s'affoler et la Terre qui continuait de tourner, il y avait 6 milliards d'autres humains dont quelques-uns comptaient plus que les autres, il s'agissait de ne rien fragiliser, il s'agissait de ne rien meurtrir, il s'agissait de ne rien compromettre, il s'agissait de ne rien bousculer, il s'agissait de trouver une place, petite, minuscule, infime, une toute petite case où ranger ce qu'ils étaient devenus ensemble, une toute petite place où ce qu'ils laissaient arriver ne détruirait jamais rien, ni personne, pas même eux.

© Isa – janvier 2016