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mardi 15 mars 2016

Ne pas mourir

Il était à court d'idées pour ralentir le rythme auquel il vivait les choses. Anxiolytiques, rendez-vous hebdomadaires avec un thérapeute hors de prix, week-ends isolé au milieu de nulle part, rien n'y faisait. En dehors de ces parenthèses qu'il se forçait à s'accorder, et même à l'intérieur d'elles - le cerveau ne s'arrête jamais - il vivait avec frénésie chaque seconde qui s'écoulait.

Boulimique de travail, friand de mondanités diverses, éternel amoureux des femmes, il enchaînait les journées où il passait une douzaine d'heures au bureau, puis quelques-unes à se constituer un réseau, enfin parfois plusieurs autres à faire l'amour à sa conquête du jour. 

Tous les matins, épuisé, il se disait qu'il devait changer. Tous les soirs, il recommençait. Il n'avait  jamais réussi à identifier clairement d'où venait ce besoin presque viscéral de ne jamais perdre une seconde. La peur de la solitude ? De la mort ? Du temps qui passe ? Il avait beau avoir entamé depuis de longs mois une thérapie dont il ne saurait plus se passer, celle-ci n'avait pas encore révélé les clés de compréhension de son mode de fonctionnement.

A plus de 40 ans, les nombreuses heures de sport qu'il faisait le week-end ne parvenaient plus à compenser l'hygiène de vie déplorable qui était la sienne. L'alcool, les médicaments, les nuits si courtes, bien trop courtes, le stress d'un métier passionnant mais prenant, les repas sur le pouce, le cerveau toujours en ébullition, il avait depuis longtemps la certitude qu'il ne tiendrait pas bien longtemps à ce rythme et était persuadé qu'il mourrait jeune, dans la fleur de l'âge, mais sans regrets ni remords parce qu'il aurait tout vu, tout vécu.

Pourtant, quelque chose changeait ces temps-ci. Comme si la peur s'installait. Comme si la vie avait encore de l'intérêt. Comme s'il n'était pas prêt à tirer sa révérence, qu'il voulait encore découvrir, sentir, vibrer... construire. Comme s'il n'arrivait plus à se résoudre à disparaître sans ne rien laisser derrière lui, comme si l'air venait à lui manquer quand il réalisait qu'il était en train de se laisser mourir à force de vivre trop fort, trop vite. Comme s'il était temps de rattraper les bêtises du passé, de transformer le présent pour se créer un futur qui pouvait durer.

Il ne savait pas encore comment il s'y prendrait, mais cette toute nouvelle soif de vie était désormais bien trop incrustée pour qu'il la laisse s'échapper.

© Isa – 15 mars 2016